Un saisissant reportage sur la bande de Gaza en 1956 et 2003, entre tueries et quotidien désespérant, par Joe Sacco.
Spécialiste du reportage en bande dessinée (Palestine, Goradze), Joe Sacco se rend en 2002 à Gaza, à la demande du magazine Harper’s. A cette occasion, il décide de mener l’enquête sur deux épisodes dramatiques et oubliés, les massacres de Khan Younis et de Rafah, en 1956. Ces deux villes du sud de la bande de Gaza, alors sous contrôle égyptien, ont vu une partie de leur population tuée par les soldats israéliens lors de la crise de Suez. De ses voyages, Joe Sacco a tiré une somme de 400 pages, Gaza 1956, œuvre passionnante malgré son ampleur intimidante et l’âpreté de son sujet.
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Plus de cinquante ans après ces deux tragédies, Joe Sacco se met donc en quête de témoins prêts à raconter ce qu’ils ont vu et vécu à l’époque, afin de transmettre les paroles terribles des survivants et des familles de victimes. Même si, par souci de vérité, Joe Sacco a complété ses interviews par des documents d’archives israéliens, il se place clairement du point de vue palestinien. Toutefois, il s’attache à confronter les témoignages, à relever les incohérences et les dissonances, à recouper ses informations. Il n’hésite pas à montrer comment certains témoins mélangent les faits, et il exprime ses doutes sur leur véracité. Il s’interroge sur la fiabilité de la mémoire et des souvenirs, sur la façon dont il doit les utiliser. Au-delà du reportage journalistique, Sacco questionne ainsi le travail de l’historien. Passant sans cesse du passé au présent, il juxtapose avec une précision et des détails saisissants des dessins de villes telles qu’il les voit aujourd’hui et telles qu’il les imagine en 1956. Il entremêle le quotidien des habitants qu’il croise lors de ses recherches avec leurs souvenirs.
Alors que la bande de Gaza est encore occupée par les Israéliens, que la deuxième intifada fait rage et que la guerre en Irak débute, Sacco partage la vie de ces Palestiniens sans perspectives, habitant des logements précaires et surpeuplés, habitués à courir sous les balles, et pour qui la mort est une chose banale. Sacco montre comment, dans ces conditions, il est difficile de les intéresser au passé, de les amener à parler d’événements déjà lointains, quand leur quotidien est lui-même plongé dans l’histoire. “Ici, c’est tous les jours 1956”, résume le fils d’un survivant de Rafah.
Mais avec son dessin sobre et précis, Joe Sacco n’abuse jamais du dramatique de la situation, ne surligne jamais les émotions. Malgré la complexité du reportage, on ne perd jamais le fil des événements. Intervenant comme narrateur, Sacco recadre souvent le propos, le rend aussi plus léger. Avec humour, il n’hésite pas à se représenter impatient ou énervé, il se moque gentiment de témoins pas toujours pertinents ou de collègues journalistes désabusés. Un recul bienvenu dans cette histoire où toutes les paroles, toutes les mémoires, même les plus partiales ou défaillantes, convergent vers la tristesse et la fatalité.
Gaza 1956 – En marge de l’histoire (Futuropolis), 424 pages, 29 €
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