Année pétillante pour le monde des bulles, avec une belle découverte : la BD sud-africaine, inventive et remuante. (image : Joe Daly Dungeon Quest, t. 1)
C’est traditionnellement le festival d’Angoulême qui à la fois couronne et lance l’année BD. Et avec un palmarès récompensant Blutch, Emile Bravo ou encore Bastien Vivès, l’année 2009 commençait sous de bons auspices, d’autant que l’exposition consacrée au collectif sud-africain Bitterkomix permettait de révéler l’extraordinaire Joe Daly qui enchanta l’année avec deux albums fantastiques de drôlerie et d’inventivité, The Red Monkey dans John Wesley Harding et Dungeon Quest.
Avec une imagination débridée et protéiforme, de jeunes auteurs français ont exploré une veine aussi décalée, voire parfois déconcertante, comme Guillaume Trouillard et Samuel Stento (La Saison des flèches), Jean-Pierre Duffour (L’Escalier truqué), Renaud Dillies (Bulles et Nacelle), tout comme l’Allemand Jens Harder, avec sa somme insensée sur les origines du monde (Alpha – Directions). Judith Forest, Nicolas Wild, Nicolas Presl, Malik Deshors ou encore Matthias Lehmann ont quant à eux démontré une personnalité et une sensibilité déjà affirmées.
L’année a également vu la poursuite ou la conclusion de séries majeures. Berlin, de Jason Lutes, qui retrace avec précision l’époque ambiguë de la république de Weimar, Martha Jane Cannary qui devient mère dans le second tome de la biographie (Martha Jane Cannary) de Matthieu Blanchin et Christian Perissin, ou Pascal Brutal, au héros toujours aussi formidablement couillon. Camille Jourdy a donné une belle conclusion à Rosalie Blum, Hubert et Kerascoët ont continué de plonger leur Miss Pas Touche en eaux troubles, et Appolo et Brüno ont conduit leur excellent Commando colonial jusqu’à l’Antarctique.
L’érotisme et le rock étaient à l’honneur, le premier via de multiples rééditions (Magnus, Crepax, Pichard…) et quelques nouveautés comme Madame désire ? de Grégory Mardon ; le second au travers d’excellents ouvrages collectifs (Rock Strips, Nous sommes Motörhead…). A côté des sagas à succès (One Piece, Les Gouttes de Dieu), l’Asie s’est montrée mélancolique et humaine (Lorsque nous vivions ensemble de Kazuo Kamimura, Une sacrée mamie de Yoshichi Shimada et Saburo Ishikawa, Un zoo en hiver de Taniguchi…), parfois brutale (Aujourd’hui n’existe pas d’Ancco). Chez les Américains, les œuvres magistrales des stars de l’underground (Seth, Crumb) l’ont disputé aux travaux intimistes et corrosifs de jeunes auteurs (David Heatley, Ivan Brunetti).
Cette année, la BD est sortie des albums pour gagner les salles d’exposition. Avec 8 000 originaux, le musée de la Bande dessinée a ouvert fin juin à Angoulême. A la Maison Rouge, à Paris, l’exposition Vraoum ! a confronté planches et œuvres d’art contemporain. Hugo Pratt a été célébré à Cherbourg, tandis que l’expo collective Quintet à Lyon invitait Stéphane Blanquet ou Chris Ware. Enfin, Sexties au palais des Beaux-Arts de Bruxelles présentait le travail de Guido Crepax, Paul Cuvelier, Guy Peellaert et Jean-Claude Forest durant les sixties. La BD a également quitté le papier pour entrer dans l’âge du numérique : après les blogs d’auteurs, 2009 a vu se multiplier les expériences sur smartphone (Les Blondes, le sympathique Bludzee de Lewis Trondheim).
Enfin, 2009 a eu son lot de polémiques. Condamné pour avoir publié dans des livres au tirage confidentiel quelques vignettes de Tintin, l’auteur Bob Garcia devra payer près de 50 000 euros à la société Moulinsart, titulaire des droits de l’œuvre d’Hergé. Moulinsart, qui a aussi interdit toute photo lors de l’ouverture, fin mai, du musée Hergé en Belgique. (Ridicules) retours de bâton : Tintin au Congo a été envoyé dans l’enfer de la bibliothèque municipale de Brooklyn, trop politiquement incorrect soixante-dix-huit ans après sa sortie, et, en France, Moulinsart a fait l’objet d’une plainte pour racisme. Ailleurs, ce sont Turalo et Piak qui se sont mordu les doigts d’avoir tenté de faire revivre Franquin (ou plutôt son squelette) dans Le Blog de Franquin. Détenteur de la marque, Marsu Productions a fait retirer l’album de la vente. Dans la BD, on ne badine pas avec les morts.