Plus de vingt ans après sa création, l’héroïne destroy d’Alan Martin et Jamie Hewlett souffle encore un vent de zizanie sur la bande dessinée.
Quelques années avant les riot grrrls et leur féminisme cru, Tank Girl délivrait déjà son message rebelle, donnant un coup de pied dans l’ordre établi. Cette punkette déjantée et trash est née en 1988 de l’imagination de deux amis d’enfance, Alan Martin et Jamie Hewlett, plus tard cocréateur de Gorillaz avec Damon Albarn.
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Pendant sept ans, Tank Girl a semé la zizanie dans les pages du magazine Deadline, joyeux fouillis de BD, de musique et de contre-culture. Aujourd’hui, ses aventures ont les honneurs d’une intégrale en trois volumes aux éditions Ankama, dont la collection label 619 (Mutafukaz, Debaser…) rend ainsi hommage à l’une de ses influences les plus évidentes.
Ex-soldat devenue hors-la-loi dans une Australie à la Mad Max, Tank Girl couche avec un kangourou mutant, se déplace en char d’assaut, carbure à la bière et ne connaît ni règle ni limite. Toujours prête à la baston, elle est entraînée dans des histoires pas possibles où l’on croise des kangourous bikers, un koala en peluche gay, des aborigènes, quelques célébrités improbables, d’Allen Ginsberg à David Niven…
Martin et Hewlett s’amusent comme des fous à créer ce gigantesque bouillon d’idées délirantes, cette farce bruyante et excitée, croquée d’un trait vif et tranchant. La vulgarité, l’irrespect et l’irrationnel surgissent de partout, des détails baroques et des mises en abyme incongrues parasitent des intrigues qui n’en ont pas besoin.
Si les premiers récits suivent en effet un semblant de trame, en général résumable en une phrase, les scénarios deviennent de plus en plus ténus au fil des épisodes. Les auteurs se laissent vite entraîner par leur fantaisie graveleuse et absurde, notamment dans le deuxième tome où le passage à la couleur se traduit par des histoires psychédéliques en diable. Pour ajouter à la confusion, Martin et Hewlett s’invitent de temps en temps aux côtés de leur héroïne et interviennent dans ses mésaventures, transformant leur oeuvre en métadiscours ironique sur la bande dessinée.
Malgré ses allures d’ovni, Tank Girl ne vient pas de nulle part. Outrancier et loufoque, c’est un digne rejeton des Monty Python, d’Harvey Kurtzman, de Gotlib mais aussi des coriaces personnages féminins de Love and Rockets des frères Hernandez. Sale, mal embouchée, Tank Girl tranche avec les héroïnes traditionnelles, et cette vision iconoclaste fut l’une des clés du succès de la série à l’époque.
Mais, aujourd’hui, celle-ci a un peu perdu de sa fraîcheur. Si ce personnage destroy et ses tribulations insensées sont toujours réjouissants, les multiples références à la pop culture anglosaxonne des années 90 sont devenues obscures (malgré les notes explicatives). Comment apprécier la référence récurrente à Cud, groupe indie mineur dont le bassiste publiait aussi une BD dans Deadline ? Comment goûter les allusions à des animateurs télé qui n’ont jamais traversé la Manche ? Avec la traduction et les années, Tank Girl reste toujours aussi poivrée, mais elle a perdu pas mal de sel.
Tank Girl Tomes I et II, d’Alan Martin et Jamie Hewlett, traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch ; tome III à paraître le 11 mars (Ankama Editions), 12,90 € chacun
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