Les tourments de l’adolescence évoqués avec poésie et fantaisie par deux jeunes dessinatrices américaines, Gabrielle Bell et Lilli Carré.
Dans le recueil d’histoires courtes Cecil et Jordan à New York, Gabrielle Bell brode autour des petits troubles que l’on éprouve lorsque l’enfance s’échappe et que se profilent les angoisses de l’âge adulte. Solitude, sentiments d’exclusion et d’incompréhension, rébellion, doute… A la manière d’un Adrian Tomine, l’auteur explore la variété des sentiments de l’adolescence et ne résout jamais les problèmes de ses personnages, laissant le lecteur dans l’expectative.
Gabrielle Bell enrobe ses récits, que l’on devine parfois parsemés d’éléments autobiographiques ou inspirés de faits réels, d’une poésie mélancolique et surréaliste. Aux prises avec des situations ordinaires, ses protagonistes laissent leurs angoisses et leur imagination réinterpréter le quotidien. Une atmosphère parfois magique ou mystérieuse se dégage d’événements pourtant anodins.
Pour mieux pointer les relations douloureuses, les névroses, les dysfonctionnements et les difficultés du passage à l’âge adulte, Gabrielle Bell n’hésite pas à recourir au fantastique. Ainsi, dans la nouvelle titre, adaptée au cinéma par Michel Gondry dans Tokyo!, elle met en scène une jeune femme qui, ne parvenant pas à trouver sa place à New York, décide de se transformer en chaise pour ne pas encombrer son entourage et avoir enfin une utilité.
Dans The Lagoon, le fantastique n’est pas seulement un auxiliaire poétique mais le moteur du récit. Dans ce roman graphique dont le dessin rappelle Charles Burns, Lilli Carré invente un drame familial étonnant et glaçant. Une jeune ado, Zoé, vit avec ses parents et son grand-père à proximité d’un marécage habité par une étrange créature amphibie. Celle-ci chante une complainte enchanteresse et sème la pagaille dans la gentille cellule familiale.
Les adultes, charmés par la mélodie, sont inexorablement attirés dans les eaux du lagon tandis que Zoé et son grand-père ne le sont pas, comme si leur innocence les protégeait. Lilli Carré utilise et représente brillamment les sons (la chanson du monstre, le tic-tac d’un métronome, les miaulements de chats…) pour rythmer son récit, qui glisse vers la comptine morbide et ensorcelante.
Trouble et elliptique, oscillant entre terreur et beauté, The Lagoon laisse deviner des secrets de famille mais conserve d’intrigantes zones d’ombre. Si Lilli Carré se garde bien de tout révéler, son conte initiatique montre toutefois que l’on ne peut sortir de l’enfance qu’en apprenant à oublier la peur.
Cecil et Jordan à New York de Gabrielle Bell (Delcourt), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Bernière, 148 p., 17,50 €
The Lagoon de Lilli Carré (Cambourakis), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Chopan, 80 pages, 14 €