Un vent de liberté sexuelle soufflait sur la bande dessinée des seventies. A l’occasion de plusieurs rééditions, hommage à quelques bulles au glamour depuis disparu.
Depuis quelques mois, on constate un regain de vitalité de la bande dessinée érotique avec de nouvelles collections (Erotix chez Delcourt), des ouvrages collectifs (Duo chez Fluide Glacial), des pochades (Happy Sex de Zep), et surtout de nombreuses rééditions. Les productions nouvelles sont rares, et en général dénuées du caractère qu’affichaient les œuvres des années 70-80, où se côtoyaient galipettes bon enfant et critique sociale. C’est donc du côté de ces classiques que l’on trouvera le plus d’ardeur et de bonne humeur, avec des œuvres qui n’ont rien perdu de leur charme et qui dépassent leur statut d’ouvrages à fantasmer pour s’affirmer comme des repères de l’histoire de la bande dessinée en général.
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En 1968, alors que le principe de la BD pour adultes était encore balbutiant, un jeune scénariste, Jean Van Hamme, et le dessinateur Paul Cuvelier, connu pour sa série pour ados, Corentin, allaient bouleverser le paysage éditorial avec Epoxy. Rééditée aujourd’hui en noir et blanc, cette histoire légère, gentiment érotique et jamais crue, met en scène une jeune fille qui, après avoir manqué de se noyer, se réveille dans le monde de la mythologie grecque, où elle fricote avec amazones, dieux, héros… Certes, Barbarella de Jean-Claude Forest était sortie quelques années auparavant, mais elle s’était vite fait rhabiller par la censure.
Apparue pendant les événements de 1968, Epoxy put quant à elle vivre tranquillement, les seins à l’air. Le recours à la mythologie, traditionnel subterfuge de l’art classique pour montrer des corps libres et des mœurs légères, et le dessin splendide de Cuvelier – entre la ligne franco-belge et le style de l’Américain Milton Caniff, furent sans doute également déterminants, et Epoxy devint une des premières héroïnes “adultes”.
Dix ans ont passé et la femme s’est libérée. L’érotisme ne se cache plus, s’affiche même. Après le roman (1959) et surtout le film (1974), Emmanuelle devient une héroïne de bande dessinée en 1978. Il n’est pas étonnant qu’après Histoire d’O (1975), l’immense Guido Crepax s’intéresse à cette icône de la libération sexuelle. Avec Emmanuelle, magnifiquement rééditée chez Delcourt, il continue à mettre en scène des femmes assumant leurs pulsions, en particulier la soumission. De son dessin fin et magnifique qui s’épanouit en grandes planches, il raconte l’histoire de cette épouse de diplomate qui s’ennuie en Orient et s’initie au plaisir avec d’autres femmes et un maître de l’érotisme. Sous son crayon, cette fable moderne perd son caractère bourgeois qui en fit le succès considérable, et devient cérébrale, abstraite, désincarnée. Chez Crepax, les femmes sont hiératiques, sublimes, pourtant très sensuelles, et l’érotisme reste réservé à une élite.
Avec son trait lourd et excessif, Georges Pichard est à l’opposé du style minéral et épuré de Crepax. En 1977, l’auteur de la débridée Paulette (au scénario signé Wolinski) publie Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope, rééditée chez Glénat avec sa suite, Marie-Gabrielle en Orient. Dans une succession d’histoires dans l’histoire, on découvre un couvent très spécial, où les pécheresses reçoivent des châtiments exemplaires pour expier leurs vices. Très intéressée, une jeune comtesse, Marie-Gabrielle, prend pour servante une ancienne pensionnaire mais, débauchée à son tour, c’est elle qui partira pour y faire pénitence.
Chez Pichard, l’érotisme vient de Sade, il n’est qu’excès, outrancier dans le dessin comme dans le propos. Page après page, c’est une invraisemblable accumulation de sévices en tout genre. Mais ce déchaînement de violence et d’humiliation, c’est d’abord celui des rapports de classe, de l’hypocrisie religieuse, de l’aliénation par un ordre hiérarchisé que Pichard critique ainsi de façon virulente. Aux Etats-Unis, toute cette nudité dont les Français commençaient à être familiers était encore bannie.
Après la grande gueule Fritz the Cat de Crumb qui ronronnait au début des 70’s, la chatte Omaha apparut sous le crayon de Reed Waller à la fin de cette même décennie. Danseuse nue, Omaha se trouve mêlée à une lutte pour le contrôle des clubs de strip-tease de la ville. Se succèdent ainsi courses-poursuites et scènes du quotidien, et parmi celles-ci quelques parties de jambes en l’air naturelles et spontanées. L’anthropomorphisme contribuant à esquiver les foudres de la censure, Omaha est une des premières héroïnes américaines à se montrer libre de son corps et de ses désirs.
Si Waller (plus tard accompagné de son amie Kate Worley) revendique quelque chose, ce n’est alors ni la libération de la femme comme Crepax, ni la subversion comme Pichard, mais simplement le bonheur ordinaire, la simplicité de ne pas avoir à se cacher, de vivre sa sexualité avec joie et innocence.
Epoxy de Jean Van Hamme et Paul Cuvelier (Le Lombard), 72 pages, 20 € Emmanuelle de Guido Crepax, d’après Emmanuelle Arsan (Delcourt), 136 pages, 17,50 €
Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope de Georges Pichard (Glénat), 234 pages, 30 € Omaha danseuse féline, tome 1 de Reed Waller et Kate Worley, avec la participation de James Vance (Tabou), 224 pages, 19 €
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