Très ingénieux, un polar formel permet de découvrir la bande dessinée minimaliste du Belge Greg Shaw.
Tout commence et tout se joue sur la couverture de Travelling Square District. Représentant un quartier moderne à l’architecture géométrique, cette image dépeint une sorte de ville nouvelle de l’an 2050 avec ses immeubles et ses gratte-ciel, sa piscine olympique, ses deux statues monumentales, son mur couvert de graffitis, son musée, son pont suspendu…
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C’est strictement à l’intérieur de ce paysage froid, désincarné et presque vide que va se dérouler toute l’intrigue, dont le point de départ se résume en peu de mots : un homme soupçonné par la police d’être un terroriste demande à un tueur d’exécuter sa femme adultère.
Dans des pages minimalistes et épurées à l’extrême, systématiquement découpées en quatre cases (avec dialogue) ou seize cases (muettes) parfaitement carrées, le jeune auteur belge Greg Shaw zoome successivement sur différentes zones du décor, dans lesquelles se déroule l’action. On avance ainsi de fenêtres en fenêtres, de gros plans sur le plongeoir de la piscine en vues resserrées sur l’intérieur du musée, comme on déambulerait, curieux et effrayé à la fois, dans une mégapole quasi déserte…
L’histoire se dévoile par bribes et, passant d’un protagoniste à l’autre, on découvre progressivement les liens qui les unissent. Si chaque planche de Travelling Square District peut s’admirer de loin comme un tableau abstrait et presque anodin, “le diable est pourtant dans les détails”. Et derrière ces façades qui se ressemblent toutes, dans ces cases identiques à des fenêtres, se passe parfois, dans un coin, en minuscule, un incident qui va bouleverser le cours des choses : un coup de fil raté, un homme qui monte subrepticement des escaliers…
Ce sont ces petits événements discrets qui transforment le récit en un drame terrible, une tragédie classique à l’unité de temps et de lieu uniquement troublée par quelques flash-backs. Cette mise en scène extrêmement formelle mais ingénieuse, qui joue pleinement sur le cadre, la géométrie, les couleurs et le silence (les dialogues sont économes), donne au lecteur l’impression d’être enfermé, perdu, “encadré” au milieu de détails grossis à l’extrême.
Tel James Stewart dans Fenêtre sur cour, on est voyeur et impuissant face aux protagonistes, eux aussi inexorablement coincés et englués dans un enchaînement de circonstances. Le parti pris radical et parfaitement maîtrisé de Greg Shaw rend passionnante cette oeuvre intriguante. Mais au-delà du travail formel, la force de l’auteur est aussi de réussir à créer une narration tendue de bout en bout, tout en livrant une réflexion sur l’implacabilité du destin.
Travelling Square District (Sarbacane), 144 pages, 23€
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