Une vision rafraîchissante de la science-fiction par l’inventif du Ohm et Hubert.
L’excellent magazine de bande dessinée Capsule cosmique, destiné aux enfants éveillés mais aussi aux adultes curieux, aura eu le temps, au cours de sa courte existence (2004-2006), de regrouper et de stimuler les jeunes auteurs les plus créatifs du moment, de Riad Sattouf à Lisa Mandel, en passant par Gwen de Bonneval et Matthieu Bonhomme.
Ouvrant des perspectives inédites pour la bande dessinée jeunesse mais également de nouvelles pistes graphiques et narratives pour les auteurs, Capsule cosmique savait doser décalage et sérieux, intelligence et franche rigolade, premier et second degré, et on ne peut que regretter sa mort prématurée.
Au-delà de sa grande inventivité, la revue a eu le mérite de favoriser des rencontres, comme celle d’Ohm et Hubert, qui se retrouvent aujourd’hui pour Bestioles et font ici perdurer l’esprit malin qui soufflait sur le magazine. Récit de science-fiction, Bestioles se déroule sur une planète peuplée d’“humains” (en réalité des animaux anthropomorphes) ayant quitté la Terre.
Respectueux de la nature, ils ont décidé de vivre sur une île pour préserver l’équilibre écologique du continent, dont la faune et la flore doivent rester inviolées. Jusqu’au jour où s’y écrase un dirigeable chargé d’une mission de routine.
L’équipage, constitué de la jeune et intrépide Luanne, d’un stagiaire niais et d’un capitaine louche et alcoolique, se retrouve alors aux prises avec une colonie clandestine à l’organisation sectaire, qui tente de soumettre la forêt et ses très curieux habitants, les “bestioles”.
Pour servir cette histoire aux multiples péripéties, Ohm et Hubert ont créé dans les moindres détails un univers envoûtant et coloré, charmant et inquiétant à la fois.
Dès les premières cases et en peu de mots, ils parviennent à immerger le lecteur dans ce monde riche et cohérent, pas très éloigné des planètes imaginées par Isaac Asimov pour Le Cycle de Fondation, auquel il est d’ailleurs fréquemment fait référence.
Ohm et Hubert jouent aussi avec les angles et la perception en donnant à Bestioles une construction complexe et originale : la dernière ligne de cases de chaque page peut en effet se lire comme un strip indépendant, qui raconte l’aventure du point de vue des bestioles.
Et lorsque, de façon dramatique, la route des petites créatures croise celle des humains, ces cases rejoignent avec une habileté extraordinaire le récit principal.
Sous ses aspects trompeurs de bande dessinée pour enfants, Bestioles est une histoire très fine, jamais simpliste ni manichéenne, où les répliques acérées fusent, où le politiquement correct n’est pas de mise, où le message écolo et subversif ne prend jamais le pas sur l’aventure.
En cumulant SF, esthétique enfantine, propos engagé et trame d’aventure, Ohm et Hubert font tout ce que réprouve la pensée unique. Bravo à eux.
Bestioles (Dargaud), 71 pages, 17€