Autour d’une communauté de dessinateurs endeuillée, le festival dédié à la bande-dessinée a décerné un Grand Prix spécial à Charlie Hebdo, à qui est consacré une exposition-bilan.
« Il est où Charlie ? ». Des groupes de bambins tout juste sortis de l’exposition dévolue aux Moomins, ces trolls dodus finlandais, gribouillent à la craie sur un mur d’expression dédié à Charlie Hebdo. L’esprit Charlie est partout dans la ville, ses culs goguenards et slogans paillards s’affichent sur murs et panneaux, jusque devant la mairie. Tout est bon pour faire vivre l’esprit du journal satirique. Au marché des occasions, place des Halles, les stands ont ressorti les vieux numéros : 8€ le Hara Kiri poussiéreux, il n’y a pas de petits profits.
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« On a pris conscience qu’il fallait réagir »
Présidée par l’absent Bill Watterson, le père des garnements Calvin et Hobbes, cette 42ème édition s’est ouverte le bec dans l’eau, dans une drôle d’ambiance due à la forte présence policière encadrant la manifestation. Avec plus de 2000 auteurs, fanzines et flopées d’étudiants, la grogne sur les droits d’auteurs n’aura pas empêché le chouchou flamand Brecht Evens, en lice pour le Fauve d’or, de sortir encre et pinceaux pour dédicacer des heures durant sa Panthère, en attendant le palmarès de dimanche. Outre l’exposition rendant hommage au mangaka Jirô Taniguchi, Angoulême consacre un autre nippon, Katsuhiro Ōtomo, qui s’est vu décerner le Grand Prix pour l’ensemble de son œuvre. Une annonce obscurcie par les évènements commémoratifs organisés à la dernière minute, suite aux attentats.
Pour l’occasion et en collaboration avec l’équipe restante du journal, le Musée de la BD d’Angoulême a été vidé et réaménagé : dans ses vitrines s’étale toute l’histoire de Charlie Hebdo. « Le musée accueille Charlie« , résume le commissaire d’exposition, Jean-Pierre Mercier. « Avec l’équipe, on a été sidéré par la violence des évènements. On a pris conscience qu’il fallait réagir ».
En une quinzaine de jours, à l’arrache, les organisateurs ont fouillé dans les cartons et puisé dans les collections de revues du musée pour en tirer ces rares archives de Hara Kiri, Charlie Mensuel et autres revues satellites éditées à l’époque par les Editions du Square. « Il y a deux périodes Charlie, ça commence en 1960, c’est très long finalement. Puis en 1992, c’est le lancement, 23 ans ce n’est pas rien ». Sur la une du premier numéro de Charlie Hebdo, d’abord lancé comme supplément à Charlie Mensuel après l’interdiction de l’Hebdo Hara Kiri, on lit « Il n’y a pas de censure en France ».
« Une réflexion sur le droit à la satire et la liberté d’expression, sans en faire des tonnes »
A la fin de l’exposition, une salle entière est dédiée aux plumes, dont Cabu et Charb, disparues le 7 janvier dernier.
« On a beaucoup parlé des dessinateurs, on a aussi voulu donner à voir leur travail et amorcer une réflexion sur le droit à la satire et la liberté d’expression, sans en faire des tonnes« , précise Jean-Pierre Mercier. « En revoyant l’ensemble de ces dessins, qui sont presque des œuvres d’art, on est frappé par la justesse du trait, la force de dénonciation et la colère contrôlée qui s’en dégage« .
Et puisqu’on est au Festival de la BD, qui fait la part belle au dessin de presse, on insiste sur la qualité graphique: « c’est un organe de presse dans lequel l’image est aussi importante que le texte« , rappelle le commissaire d’exposition. « Or, si l’actualité se périme, le dessin reste souvent pertinent« . Ainsi en va-t-il de la une historique de 1970 célébrant en fanfare le trépas du général de Gaulle, et exposée pour l’occasion: « Bal tragique à Colombey: un mort ». « On oublie à quel point le ton était vif. Prenez les fausses publicités : celle de Cavanna, « Après le viol … un Perrier« , c’est inouï, inimaginable aujourd’hui ! On a changé d’époque« .
L’Américain Derf Backderf dessinateur bourru de Punk rock et mobile homes (éditions çà et là) y est allé lui aussi de son dessin « Je suis Charlie », un autoportrait tout en muscles qui a fait le tour du web, dès qu’il a appris la nouvelle. La main sur le cœur, cet ancien cartoonist politique installé à Cleveland se souvient: « J’ai moi-même commencé ma carrière comme satiriste politique dans un journal. J’étais jeune, bête et plutôt nul à vrai dire ! J’ai donc été très perturbé par ces attentats. Les cartoonists américains connaissent évidemment le travail de Charlie Hebdo, leur style me rappelle la revue National Lampoon de la grande époque« .
« Désormais, il faut aller sur internet pour s’exprimer »
Après avoir signé pendant des années un strip syndiqué, The City, à caractère parfois corrosif, Backderf porte aujourd’hui un regard dubitatif sur la situation du dessin de presse outre-Atlantique: « Aux Etats-Unis, la presse est devenue très corporate, très verrouillée, il est impossible de publier des choses comme ce que fait Charlie. Et dans la presse alternative que je connais bien, même les gratuits, vont très mal. Désormais, il faut aller sur internet pour s’exprimer« .
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