Sur la jeunesse japonaise des années 60-70, un véritable poème visuel composé par le dessin épuré de Seiichi Hayashi.
C’est son écriture ciselée, pleine d’audace, amoureuse de l’épure et de la référence culturelle qui fait d’Elégie en rouge un petit trésor de la poésie en bande dessinée.
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Cette passion impossible, encimentée dans le Tokyo des années 1960-70, aura probablement influencé un autre brillant manga, Lorsque nous vivions ensemble, de Kazuo Kamimura, sorti au Japon un an après et paru en France à l’automne dernier.
Même portrait d’un couple en union libre écrasé par une société incapable de tolérer ce mode de relation. Mêmes héros inspirés par le quotidien d’artistes, un auteur de bande dessinée et sa compagne, malmenés par la précarité, les aspirations frustrées et l’incompréhension de la famille. Même désespoir d’une génération écartelée entre les mentalités d’avant-guerre, sur le déclin, et la société capitaliste importée par l’occupant américain, promesse d’un futur ni totalement acceptée ni totalement comprise.
Deux livres, donc, aux origines culturelles et chronologiques semblables, aux sujets identiques, mais complètement différents. Tout tient à l’écriture, une fois encore, mais les positionner côte à côte tel que l’actualité vient de le faire permet vraiment de mettre en relief cette qualité-là.
Là où Kazuo Kamimura recourt au trait de pinceau gracile et à la cinématographie, flatte l’émotion, le romantisme et le drame, Seiichi Hayashi, lui, joue au contraire sur l’épure du décor, les montages graphiques, les symboles et les codes.
La première page, à elle seule, peut se lire comme un poème sur la jeunesse déchirée entre l’Est des racines asiatiques et l’Ouest des buildings américains : un portrait photographique de l’iconique acteur Ken Takakura abrité sous une ombrelle, noir et blanc aux contrastes brûlés mais à peine retouché – un scintillement ajouté dans l’oeil en écho à une étoile filante tombant presque à pic dans le lointain.
La lumière décroît donc, tel que le souligne constamment l’abat-jour suspendu dans cet intérieur vide, illuminant de son faisceau effilé les plages de solitude tout autant que les ébats rageurs de ces amoureux sans certitude quant à leur avenir.
Elégie en rouge, quoique fermement planté dans son époque et dans sa société, échappe par la puissance du style au temps et aux cultures. Qui plus est, le voilà magnifiquement remis à neuf par son éditeur français, pointilleux par nature, qui s’est pour l’occasion surpassé. Une découverte immanquable.
Elégie en rouge (Cornélius), traduit du japonais par Béatrice Maréchal, 240 pages, 22 €
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