Le critique de Libération Bayon se penche sur ce qui l’a fait chuter, et rechuter, jusqu’à entrevoir la mort. Pudique et fin.
Cela fait maintenant vingt ans que Bayon, plume rock et ciné à Libé, mène un long récit autobiographique en plusieurs livres, comme on dirait en épisodes. Exception faite de La Mezzanine (2009), dévolu à ses histoires de sexe, trop complaisant pour être fort, chacun d’eux tourne autour d’une obsession : cet instant de vide où tout disparaît, qu’il s’agisse de l’accident, du coma ou de la mort. Le père (Haut fonctionnaire, 1993), le frère suicidé (Les Pays immobiles, 2005), et la mort frôlée à plusieurs reprises par Bayon himself.
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Après La Route des Gardes (1998), dans lequel il disait son accident de moto qui faillit lui coûter la vie en 1970, Bayon se souvient dans ce Tourmalet d’un grave accident de vélo advenu près de trente ans plus tard, en 1998, dans le col du Tourmalet.
“Je pense souvent à la mort, très souvent, tout le temps – au travail, la nuit en dormant ou faute de dormir, le jour courant ou marchant, dînant, lisant, devisant avec le président de la République, riant, rêvant, aimant, sifflotant, sans cesse ou presque. Dans cet état de mort suspendue qu’est ma vie, j’ai songé cet été 2009 à expédier un de mes cadavres vivants en le publiant, trêve de dandysme littéraire abstinent, de silence “à quoi bon”.
Le dandy n’est-il pas celui qui, justement, connaît mieux que les autres son attirance pour les vides, le silence, le vertige et la mort, et invente dès lors bien des détours – esthétiques – pour mieux prétendre l’ignorer ? Sauf que parfois, malgré ses subterfuges, le vertige le happe, et c’est l’accident, bref l’angoisse suprême : la constatation que l’inéluctable finit bel et bien par arriver…
Le livre pourrait provoquer les agacements que provoque de plus en plus tout récit de soi contemporain dans ce qu’il a de narcissique et vain : la chronique de ses petits bobos, dont, pour tout dire, on se fiche complètement. Sauf que Bayon, grâce à une langue au rythme et à l’élégance qui n’appartiennent qu’à lui, impose en plus l’intelligence très fine d’un vrai projet littéraire : à travers ce ressassement de l’accident, c’est à la tentative d’épuisement de ce moment inintelligible de la perte de contrôle, et de conscience, qu’il donne forme, entre Perec et Thomas Bernhard. Doublé d’une tentative de compréhension de l’événement : pourquoi l’on chute ? et surtout, pourquoi l’on rechute ? Rechute qui, encore plus angoissant, s’incarnera peut-être chez l’autre, le frère aîné, aimé, qui, dix mois plus tard, se suicidera – alors que leur frère cadet était mort
“une nuit d’Afrique verte 1953 à cinq mois sous nos yeux”.
Car tout est affaire de répétition.
Bayon, avec finesse, pudeur, sans pathos, affronte les maux derrière la chute : abandonné (à 9 mois) en pouponnière par sa mère dépressive (et le coma, l’hôpital, n’est-ce pas cette condition recréée ?), abandonné par son père qui, alors qu’après son accident de moto en 1970 Bayon se retrouve entre la vie et la mort, ne prendra pas la peine de venir le voir… C’est aux racines de ce mal étrange, insaisissable qu’est l’accident, que Tourmalet plonge : quelle est la nature de ce caillou sur lequel on n’en finit pas de buter sur la route d’une existence ?
Tourmalet (Grasset), 162 pages, 15 €
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