Le tribunal correctionnel de Bobigny entendait hier les trois policiers accusés de violences illégitimes et d’ »abstention d’empêcher un délit » pendant l’interpellation d’un jeune homme en 2008. Le procureur a requis entre 3 et 8 mois de prison avec sursis.
Au palais de justice de Bobigny, la salle d’audience est pleine pour le procès des trois policiers mis en cause dans des violences lors d’une interpellation à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), en 2008. De nombreux gardiens de la paix, en civils, sont venus soutenir leurs collègues. « C’est le jour idéal pour faire un braquage, tous les policiers sont ici ! », plaisante un avocat.
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Dans l’autre rangée, famille et proches de la victime ont également fait le déplacement. La tension est palpable.
Les faits remontent au 14 octobre 2008. A l’époque, le contexte est particulièrement tendu dans la cité des Bosquets, à Montfermeil (notamment à cause du tournage d’un film de Luc Besson, interrompu depuis). Vers 21 heures, un véhicule des forces de l’ordre reçoit des jets de pierres et de pavés.
Un peu plus tard, la patrouille interpelle Abdoulaye Fofana, 21 ans, identifié comme l’auteur du caillassage.
Ladj Ly, réalisateur du collectif Kourtrajmé et voisin, a filmé la scène. Deux policiers, David L. et Jean-Baptiste P., assènent au jeune homme trois coups de matraque et un de cross de flashball, dans l’entrée de son immeuble.
Les deux hommes sont poursuivis pour « violences volontaires aggravées », et un de leurs collègues, présent lors des faits, pour « abstention volontaire d’empêcher un délit contre l’intégrité d’une personne ». Des faits reconnus dès que les policiers ont pris connaissance de la vidéo.
« Je suis sincèrement désolé de la manière dont s’est passée l’intervention », regrette aujourd’hui David L.
Pour expliquer leurs actes, les trois accusés et leurs avocats insistent sur la pénibilité des conditions de travail, un état de stress et de fatigue permanent, mais surtout sur la peur de voir la situation s’envenimer.
« La descente a été très difficile. J’ai essayé de le maintenir tout le long. Tout le monde sortait des appartements et nous prenait à partie », se justifie le même gardien de la paix.
Les accusés évoquent également des regards agressifs et des coups de pieds de l’interpellé. Ce qu’il nie catégoriquement. D’ailleurs, de nombreuses zones d’ombres subsistent dans cette affaire, y compris concernant les conditions de l’interpellation.
Les policiers affirment avoir intercepté Abdoulaye alors qu’il s’apprêtait à rentrer chez lui, au terme d’une course-poursuite dans les escaliers. Vincent L. l’aurait reconnu alors qu’il se trouvait dans le hall de son immeuble.
Une version réfutée par l’intéressé :
« J’étais à la maison avec un copain. Vers 21 heures, on a commencé à regarder le match France/Tunisie, dans ma chambre. Quand la France a marqué son deuxième but, j’ai entendu un grand bruit et là j’ai vu qu’il y a avait des policiers dans le salon. »
D’après lui, c’est à ce moment là qu’il a été interpellé. Sur ce point, même les témoignages de voisins se contredisent et ne permettent pas de donner raison à l’une ou l’autre des parties.
Une seule chose est certaine : le jeune homme a été violenté. Pendant l’audience, la projection de la vidéo provoque une grande agitation. La famille proteste, les policiers grommellent et critiquent. Quelques minutes avant la fin de la diffusion, l’oncle de la victime se lève et apostrophe les juges en critiquant la justice française. L’audience est suspendue. L’esclandre se poursuit dans le hall du tribunal. La mère d’Abdoulaye, choquée, éclate en sanglots.
« Dans ce dossier, j’estime que le ministère public n’a pas agi dans l’intérêt de la partie civile », s’emporte maître Yassine Bouzrou, avocat de la victime, dans sa plaidoirie. Tout en reconnaissant les difficultés rencontrées au quotidien par les forces de l’ordre il regrette :
« Devant un tribunal, devant un ministère public, on met de côté toute déontologie policière, on invente de nouvelles conditions de la légitime défense. »
Le procureur se montre compréhensif, voire bienveillant envers les policiers. A propos des tensions évoquées, il observe : « Ce ne sont pas des circonstances exonératoires mais explicatives. » Le représentant du parquet requiert 6 à 8 mois de prison avec sursis pour les auteurs des coups, 3 mois pour le troisième policier.
Des peines bien trop légères pour maître Bouzrou. « J’ai constaté que le procureur de la République avait défendu les policiers au lieu des accusés », observe-t-il après l’audience.
La décision a été mise en délibéré : verdict le 6 janvier.
Emilie Guédé
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