Pour sa 25e édition, le rendez-vous bastiais a frappé fort avec un casting d’invités aussi alléchant que la charcuterie locale. Encore une fois, le festival s’est démarqué par sa convivialité et sa programmation.
Pas de place pour la nostalgie quand on fête ses 25 ans. C’est ce qu’a prouvé l’édition 2018 de BD à Bastia, manifestation qui préfère prendre le pouls de la créativité dessinée moderne plutôt que de se lancer dans des autocélébrations et des coups d’œil dans le rétroviseur – seule exception, un très joli porte-folio réunissant toutes les affiches depuis la création de cette manifestation à la coule tournée vers l’exploration graphique et narrative.
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Pas non plus de place pour les interminables files de collectionneurs psychopathes. Non, pour fêter son quart de siècle d’existence, le festival a dansé en sueur (le samedi grâce au trio de DJs le Disko avec Mona Lisa Klaxon d’Higelin en clôture), connu la transe avec la prestation de Fatherkid, l’intense groupe de Fanny Michaëlis et de Ludovic Debeurme, rejoint depuis peu par le batteur Julien Tibéri.
Surtout, BD à Bastia a multiplié autour du centre culturel Una Volta les expériences, les rencontres publiques et les sauts spatio-temporels. Au théâtre municipal, une exposition collective (avec des planches de Kiki de Montparnasse de Catel et Bocquet ou de Panama Al Brown de Goldstein et Inker) célébrait le faste des années folles grâce une scénographie élégante et efficace – la recréation d’un bar vintage digne de ceux fréquentés par Kiki et sa bande.
Place au monde d’après, le “post-apocalyptique”
Pas très loin de là, une autre réunion de talents nous projetait dans un futur improbable et fascinant, celui du monde d’après, le “post-apocalyptique”. Les saisissantes planches muettes d’Aquaviva de Guillaume Trouillard semblaient répondre à celles, inquiétantes, du Black Medicine Book d’Helge Reumann, où survivre tient de l’acte désespéré. On a pu découvrir aussi des originaux d’Epiphania, série de Ludovic Debeurme qui pousse loin les mtamorphoses futures (bouleversements de l’écosystème, de la filiation, etc.) et des extraits du 2e tome, attendu avec impatience en mai.
Autre grand écart : la présence d’Etienne Davodeau et de l’historien Sylvain Venayre pour La Ballade nationale et celle du crew Infinity 8 venu en nombre. Les premiers ont étrenné il y a quelques mois la collection coéditée par La Revue Dessinée et La Découverte, collection qui dépoussière la BD historique.
La seconde bande, menée par les showrunners Lewis Trondheim et Olivier Vatine, avec les dessinateurs Olivier Balez, Dominique Bertail, Franck Biancarelli et le scénariste Fabien Vehlmann, a conçu une aventure éditoriale hors-normes, la série Infinity 8 qui, avec ses huit albums revisitant les huit mêmes heures, joue avec les codes du reboot et repousse les frontières du space opera (notamment avec le transgressif Retour vers le führer).
Un Lewis Trondheim détendu et farceur
Lors d’une rencontre drolatique, en parallèle à une exposition de planches (celles du Romances et Macchabées signées Bertail sont très impressionnantes) on a vu combien les auteurs BD, habitués à un métier de solitaire, prennent plaisir à se retrouver à Bastia, sans les heures de dédicaces systématiques. Ce qu’a confirmé Pascal Jousselin, le créateur de l’épatant Imbattable, super-héros qui se joue des cases : “Dans un festival comme Angoulême, les auteurs ont rarement l’occasion d’échanger. On s’y donne rendez-vous mais, finalement, à part lors des dîners d’éditeur, on ne fait que s’y croiser, pas comme ici.”
On a ainsi vu un Lewis Trondheim détendu et farceur lancer avec son flegme habituel des blagues pince-sans-rire à l’antenne du Nova Club de David Blot et Sophie Marchand ou faire une apparition surprise lors de la rencontre organisée avec Mathieu Sapin. Celui-ci ouvrait ses archives et ses carnets (notamment ceux de son reportage autour de la campagne présidentielle de François Hollande de 2012) pour une exposition-rétrospective. En même temps qu’il a annoncé dessiner à nouveau son personnage fétiche de Supermurgeman, il a évoqué la sortie à l’automne du Poulain. Son premier long-métrage avec Finnegan Olfied, Alexandra Lamy mais aussi Katerine, sera un “film d’apprentissage et aussi de dépucelage politique”.
“Un prétexte pour dessiner des filles”
Il a profité de la présence de Winshluss pour le remercier du coup de pouce reçu à ses débuts quand la défunte revue Ferraille publiait ses premières histoires. Winshluss qui a signé la très mémorable affiche 2018, a eu droit au cinéma le Régent à une savoureuse rétrospective de ses courts-métrages, de Raging Blues au plus récent La Mort père et fils, qu’il a présenté avec la décoratrice Anne Raffin. Réunissant dans une jolie expo ses “héroïnes”, de Catherine (Une sœur) à Elorna (Lastman), Bastien Vivès, a quant à lui raconté avoir constaté son échec dans le domaine de l’écriture cinématographique. “Ce qui m’intéresse, c’est la mise en scène de la bande dessinée”. Concernant ses femmes de papier, il a confié : “La BD a été un prétexte pour dessiner des filles. Quand on se rend compte qu’on peut se faire bander par le dessin, c’est formidable”. Concernant son récent Décharge mentale chez les Requins Marteaux, il a désamorcé toute volonté transgressive (on y voit des scènes sexuelles impliquant des mineures) : “C’est vraiment débile, de la guignolerie à ne pas prendre au sérieux”.
Au musée de Bastia, qui avait ouvert ses murs aux visions colorées de Lorenzo Mattotti, le dessinateur italien, auteur d’un récent retour à la BD avec Guirlanda évoquait son projet actuel : l’adaptation de La Fameuse Invasion des ours en Sicile de Dino Buzzati en film d’animation. Il dévoilait avec un sens de l’image précieux une partie de sa philosophie en matière de dessin et pourquoi dessiner un personnage de manière uniforme ne l’intéresse pas : “Quand on est faible, on est comme une goutte d’eau. Quand on se sent fort, on est comme une roche. Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser les métaphores graphiques pour refléter ses changements ?”
N’oubliant pas dans sa programmation l’illustration, BD à Bastia a aussi mis en avant le travail de Serge Bloch et des Italiennes Mara Cerri et Daniela Tieni, et a vu l’atelier sérigraphie animé par l’équipe des spécialistes suisses du Drozophile ne pas désemplir. Quant au prix du livre remis par les lycéens de Bastia, c’est Agnès Maupré et Singeon qui l’ont remporté pour leur Tristan & Yseult.
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