Journaliste lié à la mouvance Anonymous, Barrett Brown est emprisonné au Texas en attendant son jugement, prévu pour septembre. Mais pourquoi cet Américain risque-t-il de passer le restant de ses jours derrière les barreaux ?
Le 12 septembre dernier, le FBI faisait irruption dans l’appartement de Barrett Brown à Dallas, au Texas, alors que celui-ci était en pleine session de tchat, et procédait à son arrestation. La scène, filmée par sa webcam restée allumée, est toujours disponible sur Youtube.
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A cause du son saturé et de l’image de mauvaise qualité, on ne commence à y voir clair qu’au bout du sixième visionnage. En gros, d’après ce que l’on comprend, Barrett Brown et sa copine se moquent d’une des membres du tchat, lui demandant si son avatar est un gif. A 1:31, le FBI débarque et sa copine éteint la webcam, qui continue malgré tout à enregistrer le son de l’arrestation (qui semble musclée) de Brown. Les participants au tchat y voient un canular. Mais en fait non, l’hacktiviste croupit actuellement dans une prison texane, attendant un procès qui devait avoir lieu en avril mais qui a été reporté au 3 septembre.
Comme Aaron Swartz, militant du libre-échange sur Internet, qui s’est suicidé en janvier dernier alors qu’il risquait jusqu’à dix ans de prison pour avoir piraté des millions d’articles scientifiques du site JSTOR, Barrett Brown encourrait une sacrée peine de prison, jusqu’à cent ans selon Rolling Stone. Il est poursuivi pour avoir 1) posté sur un forum un lien renvoyant vers un document contenant des numéros de cartes de crédit obtenus suite au piratage par les Anonymous de Stratfor, société privée américaine spécialisée dans le renseignement, en 2011. 2) fait obstruction à une enquête en cherchant à dissimuler des documents physiques et numériques lors d’un raid du FBI chez lui en mars 2012. 3) menacé un agent du FBI dans une vidéo postée sur Youtube quelques heures avant son arrestation (il y promet de « détruire » l’agent Robert Smith, qu’il nomme explicitement, car il aurait harcelé sa mère pour obtenir des informations).
L’ex-journaliste et la criminalisation du partage de liens
Mais Barrett Brown n’est pas un hacker. Ancien journaliste (il a collaboré avec le Guardian, le Huffington Post, Vanity Fair et le site satirique The Onion) et auteur du livre Flock of Dodos, dans lequel il se moque des théories créationnistes, il s’est plongé dans l’activisme 2.0 en 2009, comme il l’a expliqué au Guardian lors d’une interview en août 2012 : « Je voulais juste écrire des choses drôles et j’étais bien parti pour le faire jusqu’à une série d’événements et de pensées en 2009« . D’après le Guardian, Brown fait référence à un projet de think tank visant à enquêter sur les entrepreneurs privés travaillant avec le gouvernement dans les secteurs de la cyber-sécurité et de la surveillance. Puis, son attention s’est focalisée sur Wikileaks et les Anonymous, qui ont tout deux vu le jour en 2010. Début 2011, Brown aurait commencé à servir d’attaché de presse informel aux Anonymous, rapportant leurs faits et gestes aux médias et multipliant les interviews sur le sujet.
L’inculpation de Barrett Brown pose, entre autres, la question du caractère criminel de l’échange de liens. Dans un article publié sur le site d’informations américain Gawker, le journaliste Adrian Chen écrit : « En tant que journaliste couvrant les hackers et ayant « transféré et posté » plusieurs liens renvoyant vers des données volées par des hackers – afin de les intégrer dans des articles sur le hacking – cette inculpation est effrayante car elle semble criminaliser le partage de liens. Cela veut-il dire que si un hacker poste une liste de mots de passe et d’identifiants sur Pastebin, le site le plus populaire de partage de documents, et que je les intègre dans une histoire ou un tweet, je serai inculpé (…) comme Brown l’a été ? » Un avis que partage l’éditorialiste du Guardian Glenn Greenwald, qui explique dans son article consacré à Barrett Brown :
« Donc nous avons le gouvernement américain qui s’en prend à quelqu’un qu’il déteste clairement à cause du travail qu’il mène contre ses actions. Ensuite- en s’appuyant sur les théories légales les plus douteuses, en exploitant des statuts criminels vagues et généraux et en le [Brown, ndlr] poussant à se comporter de la mauvaise façon en le harcelant délibérément de manière vindicative (incluant sa mère) – ils ont transformé ce qui est au pire des offenses très triviales en une inculpation pour plusieurs crimes qui a déjà débouché sur son emprisonnement pour six mois et menace de le conduise en prison pour plusieurs années ».
Des informations trop confidentielles
L’éditorialiste rappelle qu’il n’y a pour le moment aucune preuve que Brown se serait servi des numéros de carte de crédit. Comme le souligne le Guardian mais aussi Vice, Brown n’a pas porté d’intérêt aux numéros de cartes de crédit, mais aux échanges d’e-mails volés en même temps, dont certains traiteraient de sécurité et de cyber-surveillance. C’est de cette façon, selon Vice, que Brown aurait commencé à s’intéresser à Ntrepid, une société qui aurait (d’après des informations du Guardian publiées en 2011 qui seraient elles-mêmes basées sur les recherches menées par Brown), signé un contrat avec la United States Central Command (Centcom), qui supervise les opérations de l’armée américaine au Moyen-Orient. Cet accord viserait à mettre en place un système de « management en ligne » dans le cadre duquel quelques employés américains contrôleraient des dizaines d’identités différentes sur Internet dans le monde entier. Le but (non avoué) : faire de la propagande pro-USA, lisser et contrôler les discours, espionner. Ntrepid aurait également créé Tartan, un logiciel destiné à « analyser des organisations illicites et des réseaux peu structurés« . Traduction : des groupes comme Anonymous ou Occupy.
Dans une interview au Guardian début 2012, Barrett Brown a estimé : « Je serais probablement inculpé. J’espère seulement qu’un procès attirera l’attention des médias sur les problématiques qui m’ont au départ mis dans cette position« .
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