La barre était haute après une première saison ultraréaliste. Après visionnage de la nouvelle saison, dont Canal+ démarre la diffusion à partir du 22 janvier, on tente de démêler le vrai du faux.
[ATTENTION SPOILER – Cet article révèle des éléments clés de l’intrigue]
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Le 29 février 2016, le dernier chapitre de la première saison de Baron Noir diffusée sur Canal+ se refermait, laissant le charismatique Philippe Rickwaert (incarné par un Kad Merad impeccable) embastillé à Fresnes pour détournement de fonds publics. Rarement une série française avait été autant scrutée. Julien Dray, identifié par nombre d’observateurs avertis, avait même admis : “Le Baron noir, c’est moi.”
C’est peu dire si l’impatience qui précède la diffusion de la seconde saison (à partir du 22 janvier sur Canal+) est paroxystique chez les chasseurs de ressemblances. Le premier chapitre nous avait gâtés en références historiques, comme lorsque Philippe Rickwaert entrait à l’Assemblée en bleu de travail, copiant le député communiste Patrice Carvalho en 1997. Rebelote pour ce second chapitre : les deux scénaristes, Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, adaptent bel et bien les tourments de la politique française avec une acuité frisant l’insolence. La matière fournie par une séquence politique particulièrement intense (de l’automne 2016 à l’été 2017, en plein pendant le tournage) a naturellement nourri la trame.
Un Mélenchon plus vrai que nature
A l’automne déjà, Le Canard enchaîné avait allumé un bout de mèche en annonçant que François Morel allait jouer le rôle de Jean-Luc Mélenchon. Dans la série, il s’appelle Michel Vidal, est fasciné par Robespierre, l’Assemblée constituante et le Venezuela. Il clame que le PS est mort, évoque le “vieux monde” représenté par Philippe Rickwaert. Est-ce par peur du procès en diffamation que les scénaristes lui ont mis en main un exemplaire de Libé ? Malgré quelques traits caricaturaux, le leader du mouvement de la gauche radicale Debout le peuple est sans doute le personnage le plus incarné de cette deuxième saison. Lettré, aussi idéaliste que roublard, aussi chaleureux et collectif que léniniste quand son leadership est contesté à l’intérieur de son parti… Le doute n’est pas permis.
Dans le même registre, comment ne pas penser à Emmanuel Macron à travers le personnage d’Amélie Dorendeu, jouée par Anna Mouglalis et élue présidente de la République ? Même âge, même profil (énarque CSP+ de gauche, sociale-libérale assumée), véritable animal politique derrière un désintérêt apparent… Au fil des épisodes de la saison 2, Dorendeu, hésitante et peu sûre d’elle dans la première saison, gagne en confiance. Elle agace, use et renverse un à un les éléphants. A cet égard, elle rappelle aussi le prédécesseur d’Emmanuel Macron, François Hollande, lorsqu’elle s’isole dans une tour d’ivoire au fil de son quinquennat, jusqu’à perdre le contact avec le monde extérieur. Dans la réalité, cela donne un livre aux révélations hallucinantes, suivi d’une sortie de scène cauchemardesque. Dans la fiction, portée par l’exercice du pouvoir, la présidente Dorendeu s’affranchit des us et coutumes, jusqu’à remettre en cause le bipartisme et les institutions de la Ve République.
Le très utile “manuel de solférinologie”
Les personnages secondaires ne sont pas en reste et nous rappellent en grande partie le quinquennat précédent. Au mitan de la saison 2, les éléphants du PS à la sauce Canal oublient leurs courants afin de convaincre la présidente de renoncer à sa promesse de ne pas utiliser l’article 49-3 de la Constitution au cours de son mandat. Il nous suffit d’ouvrir notre “manuel de solférinologie” (l’expression est de Rickwaert) pour se remémorer le quinquennat de François Hollande et le fameux pacte noué entre Manuel Valls, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg. Le trio s’était mis d’accord pour proposer un plan sur mesure destiné à remplacer le Premier ministre – le loyal Jean-Marc Ayrault – par le député de l’Essonne.
Dans la fiction, Alain Chistera ressemble comme deux gouttes d’eau à l’ex-maire de Nantes. L’un comme l’autre vont être contraints à la démission sans faire de vague, par “sens de l’Etat”. Contrairement à la réalité, l’usage du 49-3 – article controversé de la Constitution qui permet de passer en force face aux parlementaires – n’a pas lieu. Dorendeu en sort gagnante, dynamitant le parti de la rue de Solférino ; tandis que six mois après l’installation de Manuel Valls à Matignon, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg se prenaient les pieds dans le tapis du redressement, et c’est à ce moment-là qu’Emmanuel Macron entrait en scène comme ministre de l’Economie.
Si Baron noir s’attache à chroniquer cet “astre mort” qu’est le PS, son traitement du reste du spectre politique réjouit tout autant
A gauche, on retrouve enfin celui que Rickwaert a pris sous son aile lors de la première saison, Cyril Balsan. Campé par Hugo Becker, il profite de la victoire socialiste aux législatives pour se faire élire dans une circonscription d’Ile-de-France (dans le populaire Val-de-Marne). Il est le fer de lance du combat pour la laïcité, appelle à plus de Blancs dans les écoles publiques des quartiers de la République dits “sensibles”. Cyril Balsan, c’est Manuel Valls qui use d’une technique vieille comme le PS : incarner l’aile droite d’un parti de gauche (ou inversement) pour se faire repérer. Incarner la “rupture”, à la manière d’un François Mitterrand dont il regarde la vidéo d’un célèbre discours de 1971 au congrès fondateur d’Epinay. Mais derrière l’idéalisme de façade se cache un pragmatisme qui mène tout droit vers les cimes du pouvoir – et son ivresse à laquelle il est facile de succomber.
Si Baron noir s’attache à chroniquer cette “machine à perdre”, cet “astre mort” qu’est le PS (les mots sont ceux de Michel “Mélenchon” Vidal), son traitement du reste du spectre politique réjouit tout autant. Comme lorsqu’à droite, un matin, Lionel Chalon (candidat FN finaliste de la présidentielle) part à la rencontre de la représentante du parti Les Républicains (dont on n’a pas retenu le nom, désolé). Elle campe dehors avec une petite troupe de fidèles pour lutter contre un projet de loi sur l’euthanasie, se revendiquant “pro-vie”. Elle arbore la même coupe et la même couleur de cheveux qu’une certaine Marine Le Pen. De son côté, Chalon et son sourire nous font penser à Laurent Wauquiez. Il ne lui manque que les cheveux poivre et sel pour que l’on crie bingo. A l’aune des excentricités capillaires de l’homme à la parka rouge, ça matche.
Malgré tout, il y a un personnage dans Baron noir au sujet duquel on doit donner notre langue au chat. Il s’agit du leader du parti centriste : Stéphane Thorigny. On n’a rien contre Pascal Elbé (qui incarne Thorigny), mais on n’a pas souvenir d’un leader centriste aussi baraqué, que l’on scrute chemise ouverte sur un tatouage digne de la mafia russe, vociférant au téléphone avec la présidente de la République, dans son vaste salon au design arty. Deux possibilités : le personnage était à l’origine destiné à la saison 3 de Gomorra ou bien Valéry Giscard d’Estaing nous cache quelque chose depuis des années.
La série scelle la fin du bipartisme
Au cours de cette deuxième saison, les deux scénaristes ont pris le parti d’un morcellement de l’échiquier politique en trois pôles, qui rappelle encore une fois la dernière séquence présidentielle : une droite réactionnaire allant jusqu’au FN, un grand axe social-libéral (du centre au PS) et une gauche radicale (de Mélenchon jusqu’à l’extrême gauche). Dans l’épisode 4, Michel Vidal se rappelle d’un congrès de Villeurbanne (fictif et non daté) où il s’est fait huer par toute la salle, générant en lui une rancune tenace – si ce n’est maladive – envers le PS. Ça ressemble au congrès de Brest de 1997. Ce n’était pas à Villeurbanne mais Mélenchon n’a jamais pardonné à Hollande de l’avoir humilié. La multiplication des échanges entre Rickwaert et Vidal font écho au réveil d’un “axe lambertiste”, aussi farfelu soit-il, récemment évoqué dans un article du JDD.
Cette scène permet au passage d’élargir le champ identitaire du fameux Baron noir. Si Julien Dray en a revendiqué la paternité à la fin de la première saison, Jean-Christophe Cambadélis pourrait en faire autant. Cette posture dépasse la simple identification à celui qui a longtemps joué le rôle d’éminence grise de la gauche pour finalement représenter toute une génération (qu’on peut élargir à Martine Aubry, Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn), constitutive de “l’ancien monde”.
Dans cette deuxième saison, les antichambres associatives du pouvoir socialiste font du traitement de la laïcité – et par corollaire de l’islam – un fil rouge
Heureusement, il ne faut pas toujours chercher aussi loin dans nos mémoires. Les deux scénaristes ont nourri cette seconde saison de références récentes. Pêle-mêle : un candidat FN qui débarque dès potron-minet devant les caméras de BFMTV sans prévenir personne ; les affaires de clientélisme au sein du PS… Quand Rickwaert hurle que “la justice n’est pas indépendante” et qu’elle “agit sur instruction politique” pour faire tomber l’un ou l’autre, ça ne vous rappelle pas une grosse affaire récente ? Et puis il y a le vocabulaire : “la présidence jupitérienne”, la dichotomie entre “le vieux monde” et le nouveau ou, notre préférée, cette anaphore “dianetellienne” de la présidente de la République : “Si j’étais un homme…”
Le clientélisme était déjà prégnant dans la première saison lors du rapprochement entre Philippe Rickwaert et les syndicats lycéens. Dans cette deuxième saison, les antichambres associatives du pouvoir socialiste, dont sont issus beaucoup de membres actuels du parti (de Touche pas à mon pote à SOS Racisme), font du traitement de la laïcité – et par corollaire de l’islam – un véritable fil rouge. Dans l’un des derniers épisodes, on surprend Balsan en train de regarder un discours de François Mitterrand lors du congrès d’Epinay de 1971, sur la “rupture”, illustrant avec justesse le rapport intéressé et parfois ambigu de la gauche face à ces questions.
Que reste-t-il de nos espérances démocratiques ?
Le dernier épisode de la saison 2 de Baron noir se clôt en forme de requiem du monde politique tel qu’on l’a connu jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron, pour emprunter le chemin de la dystopie. Dans un monde où le clivage gauche/droite est abattu, où la menace terroriste de l’après-Charlie demeure omniprésente et fait vaciller l’Etat de droit, que nous reste-t-il de nos espérances démocratiques ? Jusqu’où s’étend le pouvoir présidentiel d’une Ve République plus que jamais remise en cause ?
Cette saison 2 nous prouve – s’il le fallait encore – que l’exercice du pouvoir est moins emballant que sa conquête, et elle nous met aussi en garde contre ses dérives. On pense à l’effrayante déclaration de la présidente de la République, qui annonce qu’elle pourrait passer outre l’Etat de droit au nom de la sécurité des Français. La fin justifie-t-elle vraiment les moyens ? “Il y a des choses qui ne changent pas, comme la gauche et la droite”, dément Rickwaert dans l’avant-dernier épisode. Il est alors en proie aux doutes et n’est pas loin d’abandonner parce qu’il a “tout raté”. Mais rappelez-vous l’adage : “On n’est jamais mort en politique.”
Baron noir saison 2, à partir du 22 janvier sur Canal+
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