Retournement de situation pour Sandra Muller, la journaliste à l’origine du #BalanceTonPorc. Le “porc” qu’elle avait cité nommément dans son tweet d’octobre porte plainte pour diffamation. Fin du tribunal médiatique pour les deux parties.
Le 13 octobre, le producteur hollywoodien Harvey Weinstein vient d’être accusé par plusieurs femmes de viol et d’agression sexuelle. Le scandale fait rage, un peu partout dans le monde. Depuis New York où elle vit et travaille, la journaliste Sandra Muller décide d’exporter l’idée en France. Sur Twitter, elle invite à “donner les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1/ manqué de respect verbalement, 2/ tenté des tripotages”. S’ensuit un deuxième message où elle explicite : “#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails [d’]un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot”. Puis un troisième, où elle “balance” l’identité d’Eric Brion. Présenté comme “ex-patron d’Equidia”, il lui aurait dit : “Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit”.
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Dans les jours et les semaines suivantes, des milliers de femmes reprennent ce mot clé pour raconter leurs expériences d’agression ou de harcèlement sexuel. #balancetonporc, et avec lui le “1er porc”, Eric Brion, deviennent célèbres et sont exposés mondialement.
Le temps du pardon : les tribunes de décembre dans le “Monde”
Le 31 décembre, Le Monde publie côte à côte deux tribunes : celle de Sandra Muller, intitulée “La blague lourdingue, cet argument qui excuse tout !” et celle d’Eric Brion, “Je réclame le droit à la vérité et à la nuance”.
La première revient sur le témoignage, de la journaliste et lui fait prendre de la hauteur : “J’ai décidé de donner le nom de mon agresseur verbal sur mon réseau afin de montrer l’exemple. Il fallait d’urgence arrêter ce genre de comportement.” Elle rappelle aussi l’influence de la culture américaine sur sa perception des agressions sexuelles, elle qui vit à New York depuis plusieurs années, et insiste sur la différence entre dénonciation (“il s’agit d’informer”) et délation (“de salir”), que les Français auraient selon elle tendance à confondre. Avant de conclure sur “le début d’une nouvelle ère : celle de la parole libérée et de l’écoute. Il s’agit d’en faire bon usage et de ne pas balancer pour balancer.”
Eric Brion, lui, commence par admettre avoir “tenu des propos déplacés envers Sandra Muller”. Il apporte ensuite des précisions : l’altercation aurait eu lieu ”lors d’un cocktail arrosé très tard dans une soirée, mais à une seule reprise. Elle me plaisait. Je le lui ai dit, lourdement.” Il reconnaît sa “goujaterie d’alors” et “réitère ses excuses”. Avant de prendre ses distances avec Harvey Weinstein. Il explique n’avoir “jamais travaillé avec Sandra Muller”, “jamais été son collaborateur ou son supérieur hiérarchique”. Et déplore un “amalgame entre drague lourde et harcèlement sexuel ‘au boulot’” qui lui a porté préjudice sur les plans professionnel et familial. “J’aurais largement préféré qu’une autre “balance”, celle de la justice, tranche dans cette affaire plutôt que le tribunal des réseaux sociaux”.
Un droit à la vérité qui pourrait coûter très cher
Dans son portrait paru dans Le Point le 17 janvier, il souligne : “Je n’ai jamais nié la réalité de mes propos, mais tout le monde a droit à la vérité et à un peu de nuance”. Un droit qu’il a décidé d’exercer en assignant Sandra Muller en justice pour diffamation publique envers un simple particulier. Il demande 50 000 euros de dommages et intérêts et des mesures de publicité et suppression judiciaire pour les propos tenus par Mme Muller s’ils sont reconnus comme diffamatoires.
https://twitter.com/Eric3rion/status/955501003448750081
Contacté par Les Inrocks, maître Nicolas Bénoit, avocat d’Eric Brion, explique : “Il s’agit de drague, de goujaterie, de tout sauf de harcèlement sexuel au travail, qui supposerait une répétition des faits ou un lien hiérarchique qui n’a pas existé.” Eric Brion, diplômé de Sciences Po et de l’Essec, a travaillé à France télévisions puis a pris la tête Equidia, la chaîne hippique, avant de diriger la production de contenus de PMU. Depuis 2016, il est à la tête de sa propre société de conseil spécialisée dans les médias. Ses démêlés avec Sandra Muller et la mauvaise publicité qui s’en est suivie lui a, selon ses dires, fermé beaucoup de portes. Son avocat confirme : “Sandra Muller, avec ce premier tweet, a donné l’exemple aux autres internautes et imputé que Monsieur Brion, en ayant tenu ces propos, l’avait harcelée sexuellement dans le cadre d’une relation de travail. C’est bien cette comparaison, cette assimilation à Harvey Weinstein qui a causé la perte des contrats et des clients de M. Brion et qui fait qu’il est considéré comme un pestiféré et un harceleur”.
Pour Sandra Muller qui s’exprime le 18 janvier à travers un communiqué sur Facebook, il s’agit d’une assignation décidée “contre toute décence”, par laquelle “on voudrait me forcer à me taire”. Elle affirme : “J’irai au bout de ce combat avec l’aide de mon avocat et j’espère que ce procès sera l’occasion de porter un véritable débat sur les moyens de lutter contre le harcèlement sexuel” et qualifie les faits de “propos dégradants”.
Important. COMMMUNIQUE. Eric Brion qui s est s’est excusé dans Le Monde a finalement changé de stratégie et a décidé, contre toute décence, de m’amener devant les https://t.co/ALhRVKF87V . Maître Alexis Guedj : Tel : 01 53 16 41 59 https://t.co/Nl494g5Imm pic.twitter.com/KzDrth1UXK
— Sandra Muller (@LettreAudio) January 18, 2018
Le procès se tiendra dans les mois qui viennent et promet d’être rude. D’un côté, Muller semble protégée par son statut de “briseuse de silence” (le titre de personnalité de l’année décerné par le magazine Time à celles et ceux qui ont pris la parole contre les violences sexuelles). De l’autre, Brion, totalement inaudible sur les réseaux sociaux, a développé un argumentaire qui pourrait bien être entendu par un juge.
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