La délation en entreprise, c’est presque légal : à condition de respecter quelques précautions.
Pour la première fois, la Cour de Cassation s’est prononcée le 8 décembre sur un dispositif d’alerte au travail, qui permet aux salariés de dénoncer leurs collègues en cas de faute. L’entreprise Dassault Systèmes fournissait à ses employés un formulaire électronique, où ils n’avaient qu’à inscrire le nom du collègue en cause et les faits reprochés. Un Code de conduite adopté en 2004 encadrait la procédure.
Un héritage de la loi Sarbanes-Oxley de 2002, votée aux Etats-Unis en réaction aux scandales Enron et Worldcom. Toutes les entreprises cotées à la Bourse de New York ont ainsi l’obligation de mettre en place des codes d’éthique, avec systèmes d’alerte, y compris dans leurs filiales à l’étranger. Le but : lutter contre la corruption, par des dénonciations potentiellement anonymes. Dassault Système est l’une des 1345 entreprises à utiliser un dispositif d’alerte en France. Devant l’arrivée de telles nouveautés, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a statué sur ces dispositifs d’alerte en 2005.
Il suffit d’une autorisation standard pour les dispositifs d’alerte qui concernent les domaines « financier, comptable, ou de lutte contre la corruption« . La Cnil reconnaît toutefois la possibilité d’y inclure « des faits qui ne se rapportent pas à ce domaine […] lorsque l’intérêt vital de cet organisme ou l’intégrité physique et morale de ses employés est en jeu » à condition de demander une autorisation particulière. Le code d’éthique de Dassault Système précise ainsi que l’alerte s’étend aux cas « d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, de divulgation d’informations strictement confidentielles, de conflits d’intérêts, de délits d’initié, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel. » Problème : l’entreprise n’a pas demandé l’autorisation.
La CGT-métallurgie attaque donc l’entreprise. En octobre 2007, le tribunal de grande instance de Nanterre donne raison au syndicat, mais la cour d’appel de Versailles annule la décision quelques mois plus tard. Nouveau rebondissement donc, avec la Cour de cassation. L’affaire est renvoyée à la cour d’appel de Paris, qui devrait déclarer l’illégalité. En tout cas, « le code ne peut pas être appliqué en l’état« , explique Hervé Tourniquet, avocat de la CGT.
D’autant que l’absence d’autorisation n’est pas la seule chose que la cour de Cassation reproche à Dassault. Le code de conduite de l’entreprise précise que les salariés doivent demander une autorisation préalable pour toute utilisation de documents internes (notes de services, croquis, organigrammes…), ce qui porte atteinte à la liberté d’expression des salariés. Enfin, le dispositif de la société Dassault n’énonçait aucune mesure de protection des salariés mis en cause par une alerte. Il n’était donc pas conforme aux exigences de la loi Informatique et libertés de 1978.
Vicky Maubrey, déléguée syndicale CGT, se satisfait de la décision : « On est plutôt contents, ça remet en cause le principe de délation dans l’entreprise. Il était difficile de savoir ce qui se passe une fois l’alerte donnée, puisque le comité d’éthique se composait de deux personnes, toujours des dirigeants. » L’avocat Hervé Tourniquet considère que la décision fera jurisprudence : « C’est la première fois que la cour de Cassation se prononce sur le contenu d’un code d’éthique. Les cours d’appel savaient que cette affaire passait devant la cour de Cassation et attendaient la décision pour statuer.«
Dassault Systèmes, de son côté, considère qu’ « il y a contradiction entre l’autorité administrative et le juge judiciaire« , mais que « le fait de ne plus avoir de procédure d’alerte en France ne perturbera en rien le fonctionnement de l’entreprise.«