Alors que la Mairie de Paris va annoncer la semaine prochaine son plan « Nager à Paris », quelques têtes brûlées ont déjà sauté le pas et font des canaux et des fontaines leur terrain de jeu.
La semaine dernière, le gouvernement n’a pas maintenu son plan canicule. Eux si. Samedi 6 juin, fin d’après-midi. A l’heure où les berges du bassin de la Villette, près de Stalingrad, commencent à se remplir de groupes venus pour prendre l’apéritif, une dizaine de jeunes quittent ces mêmes quais. Direction l’eau. Shorts de bains enfilés, ils plongent dans le canal. Certains montent sur un pont haut de plusieurs mètres, puis se jettent dans le bassin. L’événement va durer à peu près une heure. Un moment où ces potes effectuent quelques longueurs, boivent une bière, juchés sur des bouées.
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« Personne ne se mobilisait pour la baignade urbaine »
Cela fait trois ans que ce collectif, nommé Laboratoire des baignades urbaines expérimentales se réapproprie les fontaines et les canaux de la capitale. Dès l’arrivée des beaux jours, ils s’y baignent – bravant l’interdit municipal. « L’année dernière on organisait environ une baignade toutes les deux semaines, » détaille Martin, l’un des membres du collectif. Chacun de ces événements est relayé par leur page Facebook, suivie par plus de 2 000 personnes.
Le Lab’ est né à la suite d’un voyage à Amsterdam. Là-bas, certains des membres ont découvert que des zones étaient libres à la baignade. Une révélation pour cette bande de potes, lassés des piscines municipales, ces « gymnases aquatiques« . « En y réfléchissant, on s’est dit que personne ne se mobilisait pour la baignade urbaine à Paris. »
Eviter que des gens bourrés se noient
Le but de leur action est de dédramatiser la baignade en ville. « OK, quand tu sors de l’eau tu pues, mais c’est comme à la campagne, explique Jérémy, un autre membre du groupe. Lors de leurs événements, ils rencontrent deux types de réaction. Soit les gens les encouragent soit ils trouvent ça carrément dégoûtant. « Et ça ne dépend pas de l’âge des personnes, continue le baigneur . Tu peux très bien avoir des jeunes qui vont penser que c’est dégueulasse. »
Souvent des curieux se déshabillent pour suivre les membres du Lab’. C’est pour cela qu’ils se baignent plutôt en début de soirée. « On n’a pas envie qu’il y ait des gens trop bourrés qui se jettent à l’eau et se noient, » explique Martin.
La France très en retard
Pour ce qui est de la baignade urbaine, la ville de Paris, comme celle de Lyon, accuse un important retard vis à vis de certaines de ses homologues européennes. Certaines villes ont pris le pas du phénomène depuis déjà quelques années. C’est notamment le cas de Copenhague. Dès 2002, un bassin est créé non loin du port de la capitale danoise. Ce fut un tel succès que deux autres piscines ont été ouvertes depuis. Dès l’arrivée des beaux jours, la piscine située dans le quartier de Islands Brygge devient le spot pour les habitants de la ville. « Il y a aussi la Suisse, répond un brin rêveur Jérémy. Là-bas c’est le summum de la propreté« . La ville de Bâle en fait notamment une arme touristique.
Dans toute l’Europe, des projets fleurissent. Londres vient d’inaugurer un bassin naturel. Située sur l’actuel chantier de la gare de King’s Cross, la piscine est filtrée grâce à un système composé d’algues. Toujours à Londres, une campagne de crowdfunding a été lancée pour créer plusieurs bassins sur la Tamise. La somme de 120 000 livres originale a déjà été dépassée en un mois. Le Laboratoire a d’ailleurs créé une carte pour recenser ces spots :
« De la contestation grand public »
Mais à Paris, les membres du Laboratoire des baignades urbaines expérimentales se sentent bien seuls. « Il y a quelques architectes qui travaillent sur la question, mais ils y réfléchissent de manière technique, » déplore l’un des nageurs urbains. Eux souhaitent, au contraire, s’adresser au grand public. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils n’ont pas voulu prendre le statut d’association : « On veut faire de la contestation grand public, pas du lobbyisme auprès de la Mairie, » explique Jérémy.
Pour l’instant, se baigner dans la Seine ou le Canal de l’Ourcq est strictement interdit par la préfecture. Les street-baigneurs risquent une amende de 38 euros. En 2012, la préfecture a par exemple interdit la tenue d’une traversée de Paris à la nage. « Notre idée était de faire revivre un événement très populaire au début du XXe siècle, déplorait à l’époque l’organisateur de l’événement. Il existe un millier d’épreuves de natation libre dans le monde, à Londres, Amsterdam, New York... »
« En vérité, ça dépend vraiment de où tu te baignes, explique Martin, du Laboratoire. Dans la Seine, tu mets un pied dans l’eau t’as la brigade qui rapplique direct. A la Villette c’est plus cool. Si la police te voit ils vont juste te dire de sortir de là, d’arrêter de faire le rigolo. »
La Mairie va se saisir de la question
Pour justifier cette interdiction, la Préfecture se base sur des analyses de la qualité de l’eau faites par L’agence Régionale de Santé (ARS). Contactée, l’ARS d’Ile-de-France explique que « des analyses réalisées mensuellement en différents points de la Seine – portant notamment sur les indicateurs de contamination fécale, paramètres entérocoques intestinaux et coliformes thermo-tolérants (Escherichia Coli) – démontrent des valeurs supérieures aux valeurs réglementaires mentionnées précédemment. Ces résultats révèlent une contamination de l’eau par des excréments. » Avant de conclure : « L’eau des canaux parisiens (canal Saint-Martin, canal de l’Ourcq, etc.) subit le même type de contaminations que l’eau de la Seine. »
Du côté de la Mairie de Paris, on considère qu’il est temps d’agir, afin de rattraper le retard. Au moment de la dernière campagne municipale, Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet avaient fait de la question de la baignade un point central de leur affrontement. La candidate UMP voulait notamment transformer une station de métro en piscine municipale.
[En image] Des barges à fleur d’eau pour une baignade sur le Bassin de la Villette (19e) #NageràParis pic.twitter.com/iVi1704CUv
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 20 Février 2014
La municipalité s’apprête à lancer un plan « Nager à Paris« . Annoncé en début de semaine prochaine, il devrait reprendre les propositions de campagne d’Anna Hidalgo. Trois mesures devraient permettre de rendre la nage urbaine possible. Le bassin de la Villette, cher au Laboratoire des Baignades Urbaines Expérimentale, devrait accueillir un bassin flottant. Il pourrait être agrémenté de divers jeux d’enfants. Plus au sud, le Lac Daumesnil, situé dans le bois de Vincennes, doit être complètement ouvert à la baignade grâce à un système de filtres. L’ouest parisien ne sera pas en reste puisque le Parc André Citroën verra l’arrivée de deux bassins. Ils donneront sur la Seine. Un des deux bénéficiera d’un plongeoir.
Un plan qui n’est pas sans rappeler une vieille promesse de Jacques Chirac. Lors de la campagne municipale de 1989, le Maire de Paris avait déclaré : « Dans cinq ans, on pourra à nouveau se baigner dans la Seine. Et je serai le premier à le faire. »
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