Un geste de colère aussi salutaire que définitif. Dérogeant au politiquement correct, Jan Fabre débonde sa haine de l’époque sans prendre de gants. Jusqu’au 15 juillet.
Affreux, sales et méchants, obscènes, racistes et violents… On pourrait poursuivre à l’envi cette litanie des noms d’oiseaux, tant il n’est une seule avanie que ne revendique fièrement le bataillon de cette dizaine de salopards qui, sous la houlette de Jan Fabre, s’en prennent à l’asphyxiante tartufferie des mots creux de nos démocraties. Ici, pas une ligne blanche que l’on s’interdit de franchir, pas un comportement qui n’explose la norme pour piétiner avec une infatigable fureur une morale de la bienséance censée nous protéger de la barbarie. Rien d’étonnant alors qu’en ces temps de jachère de l’esprit critique ce jeu de massacre qui s’égosille à dire tout haut ce que chacun ose à peine penser tout bas soit plébiscité par un public qui jubile.
L’époque est ainsi faite que la farce, la lourde, celle qui sans prendre des pincettes s’attaque au plomb du réel, peut paraître si légère qu’elle vous donnerait des ailes. Car il n’est plus question d’en rire… mais plutôt d’expérimenter par acteurs, danseurs et chanteurs interposés notre capacité à aller au plus loin du dégoût et au final de pouvoir tirer fierté d’arriver encore à éprouver de la nausée. Et c’est toute la puissance du spectacle de Fabre que de nous amener à préférer la boue furieuse de sa colère irrépressible à cette eau tiède qui ne sert qu’à nous en laver les mains chaque matin.
Ainsi dans les reflets du cuir noir des fauteuils Chesterfield de ce salon cosy, tout commence par la mise à mal de cette tarte à la crème du sexe qui fait vendre. En lieu et place de la partouze attendue, une hystérie onaniste qui fait fuir, où chacun s’astique jusqu’à la déchirure sous la menace d’un milicien qui porte un fusil. Puis vient une revue de détail des tensions politiques à l’échelle planétaire pour lesquelles ces partisans du pire prônent la solution radicale de la chasse à l’homme. Leurs cibles désignées sont les Arabes, les Juifs, les Palestiniens, les Américains, les Africains, les Pakistanais… Et voici leur gibier devenu trophées empaillés témoignant de l’intolérance humaine.
Côté consommation, nous sommes servis : les femmes accouchent des courses directement dans les Caddie et les godemichés se portent en faux nez comme des pailles pour augmenter la capacité à sniffer. Un enfer où “blanchissement anal” rime avec “implants et webcam”, où “les cendres crématoires de la race blanche” croisent “les putes en burqa” et “le charnier Moulinex”. Comme dans les contes, tout se termine par des chansons, et nul ne s’étonne que dans une ambiance de concert punk ces bordées de “fuck you” dont ils agonissent les gradins ne laissent personne au bord de la route.
Orgie de la tolérance de Jan Fabre, du 9 au 15 juillet (relâche le 14), dans la cour du lycée Saint-Joseph