A quoi pourrait ressembler la télé de demain ? France 4 lance TV Lab, où de jeunes producteurs sont invités à proposer des émissions renouvelant la grammaire télévisuelle. le public élira sa préférée.
Quel avenir pour la télévision ? Hier encore régnant sans partage, l’espace télévisuel, confronté désormais à la révolution numérique, à la prolifération des zones d’échanges, à l’ampleur des réseaux sociaux, au décloisonnement de la parole, doit, parallèlement à l’industrie musicale ou cinématographique, renouveler ses propres schémas sous peine de s’écrouler. Aux figures totémiques poussiéreuses agitées le dimanche, au cortège moribond de divertissements factices, à la langue évidée de toute substance des talk-shows, à l’ensemble de ces recettes et inclinations ouvertement mercantilistes et insidieusement avilissantes, une réponse, une parole, nouvelle, en phase avec l’alentour, reflet du temps, se forme et nécessite de l’attention.
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199 dossiers au départ, 8 retenus
Une volonté de renouvellement ici pleinement palpable. Basé sur l’idée de confier à de jeunes talents le développement de programmes originaux, le concours TV Lab, fomenté par France 4, esquisse à son échelle une cartographie perfectible, problématique et cependant rafraîchissante. Un éventail coloré, somme de huit projets de 26 minutes (199 dossiers déposés, puis des sélections progressives décidées par un jury de professionnels présidé par le comédien Bruno Solo – et comprenant notre collaborateur Jean-Marie Durand) en lice pour un contrat de diffusion avec la chaîne du service public (les spectateurs pourront élire leur programme favori), ou huit tentatives de rompre avec la stagnation ambiante et d’insuffler un peu de sang neuf dans les veines sclérosées du petit écran.
Un corpus dynamique, en mouvement, où le spectateur, ordinaire réceptacle passif, devient, pour quelques instants, via flash-codes, réseaux sociaux et autres prolongements numériques, acteur possible du programme. Des pérégrinations sportives de Jérémy Cateland à Manille (On n’a pas fait le tour) au trip qui conjugue engagement humanitaire et prise de conscience (Les Globe-Troqueurs de Brice Martinelli), d’une immersion dublinoise nocturne et vaporeuse (By night, la nuit dont vous êtes le héros de Xabi Molia) au très actuel couchsurfing (Sans canapé fixe de Céline Joly), d’un repas concocté à Pigalle par le chanteur Sinclair autour d’un débat sur le sexe et les métamorphoses du quartier
(Chaud devant d’Anne-Sophie Azzopardi et Lâm Hua) à une plongée au creux du monde de la musique (La Grande Jam de Kalid Bazi), le voyage s’entend ainsi non plus comme simple projection carte postale, non plus comme suite d’imagesspectacle désincarnées, mais comme une aventure collective, participative, citoyenne.
Difficulté de sortir des sentiers battus
Pourtant subsiste, nette, tenace, l’impression d’une difficulté de s’extraire totalement des modes opératoires télé habituels. Pour preuve, deux traits typiques du petit écran se trouvent répliqués le long de ces tentatives. D’une part, l’hyper-présence de l’animateur, corps et discours mis en scène, fictionnalisés, reflets narcissiques épais (éclatant dans Le Blog de Bob de Dan Kleczewski), obstruction néfaste, écran superflu entre l’environnement supposé à découvrir et le public (Sans canapé fixe et Lazarus lève le voile d’Anne-Laure Bonnel y échappent)
D’autre part, on regrettera l’uniformisatrice et broyeuse manière d’appréhender le monde sous le filtre du ludique, du badin, du cool. Peu importe les thèmes, peu importe les précipices : tout se découpe – de la prostitution à la crise économique, de Manille à Dublin – au rythme des calembours et de cette obsession si contemporaine de saisir la diversité et la complexité selon une grille interprétative motivée par la possibilité ou non d’en rire. Or, si l’utilité déterminante, fondamentale de la légèreté n’est pas à discuter (Nietzsche ne disait pas autre chose), un abîme sépare cette attitude critique distanciée plébiscitée par le philosophe et ce traitement médiatique réducteur.
La télé peut-elle lutter contre elle-même ?
De cet ensemble, à la fois convaincant et encore trop frileux, se dégage le programme Lazarus lève le voile d’Anne-Laure Bonnel, mélange de scénographie outrancière et assumée (un bunker, un animateur masqué, ambiance proche de V pour Vendetta) et de questionnements intellectuels profonds (la science face aux miracles religieux, la vision de la délinquance à travers les médias…). A lui seul, il résume en fin de compte le champ télévisuel, ses limites et ses atouts. Il en dénonce les dérives tout en prolongeant les failles. Car comment, en vingt-six minutes, le temps d’un exercice si contraint, démonter les rouages d’un système aussi complexe ? Et finalement, la télé peut-elle vraiment lutter contre elle-même ?
Entre deux pubs pour les yaourts et les sunlights toc des plateaux, les dissidences se noient. Les paroles réfractaires, rebelles – rares îlots de conscience au milieu du naufrage – se perdent. Néanmoins, jamais le futur, outre un immédiat peu reluisant, n’est tout à fait déterminé. Et en tentant de donner plus de place aux spectateurs, en leur concédant un espace plus vaste, en essayant de les extirper de l’apathie coutumière (fameux temps de cerveau disponible), ces programmes, malgré des béances évidentes, indiquent une direction d’avenir à suivre : vers une télévision choisie et non plus subie !
Guillaume Sbalchiero
TV Lab les 13, 20 et 27 juin, 22 h 45, France 4 www.france4.fr/tvlab
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