Bouée de sauvetage de la musique indépendante en France, le Mila propose à des labels de hip hop, d’électro ou d’indie des locaux à bas prix dans un quartier de Paris. « Dynamique de quartier », « communauté d’entraide », la réalité de ces ambitions premières est moins idyllique.
Au coeur du XVIIIe, à Paris, les rues Versigny et Emile Biémont ont changé. Les anciennes épiceries, vidéoclubs ou boulangeries arborent désormais les enseignes de labels indépendants, de magazines ou de disquaires sur Internet. Warp, Record Makers, Longueurs d’Ondes, Infiné, Disc-Over… le quartier est désormais surnommé « Rue de la musique ». Une transformation due à l’arrivée, en 2003, du Mila, une structure de soutien aux indépendants de la musique.
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L’ambition qui a fait naître le projet il y a sept ans : redynamiser un quartier populaire en déclin en y implantant des petites entreprises de la musique. La Mairie de Paris et la région Ile-de-France financent le projet. Ce qui permet au Mila de proposer des locaux aux loyers à petit prix aux labels : 5000 euros pour une boutique de 50 m2, soit deux fois moins cher qu’ailleurs dans Paris.
Ils sont aujourd’hui une trentaine d’entreprises à se partager les 1500 m2 d’anciennes boutiques autrefois laissées à l’abandon. Pour mobiliser tous les membres et croises les compétences, des réunions d’informations – les « clubs Mila » – ou des apéros plus informels sont organisés.
Les locaux du Mila occupent un large coin de rue, derrière une façade rouge vif d’où se détache encore le nom de l’ancienne épicerie, « Goulet-Turbin ». Dans un hall d’entrée bardé de posters aux noms d’artistes-maison, un léger fumet venant du fond de la pièce rappelle que le Mila est aussi un lieu de vie commune.
« C’est un peu comme une grande coloc », confirme Aude Merlet, coordinatrice du projet, lorsqu’on rejoint la poignée de membres qui déjeunent. « Il faut parfois gueuler quand il y a des trucs qui trainent » ajoute-t-elle avec le sourire.
Autour de la table sont assis des chefs d’entreprise, des stagiaires, et Céline Lepage, chef de projet du label indépendant Tricatel qui signe Bertrant Burgalat, April March ou Les Shades.
« C’est trop bien de venir manger le midi ici, confie-t-elle, on rencontre souvent des personnes différentes et on peut s’échanger des plans promo. »
Céline a commencé en stage, à l’époque où Tricatel n’avait qu’un petit bureau dans les locaux du Mila. Elle s’est ensuite faite embaucher, « notamment parce que le loyer n’était pas très élevé ». Depuis, le label s’est déplacé dans une des boutiques vacantes de la rue.
« Je commence à saisir les perspectives d’échanges possibles »
Dans le bâtiment refait à neuf, un couloir dessert une dizaine de petits bureaux. L’antenne française de Warp est là depuis juin. « Je commence à saisir les perspectives d’échanges possibles », envisage Alexandre Cazac, le responsable. « D’ailleurs, réunir des gens de la musique aux activités différentes, c’est très pertinent à l’heure actuelle, voire vital ». Un sentiment partagé dans la plupart des bureaux ou boutiques affiliés (voir la vidéo avec Yves Plouhinec de Hands & Arms, Céline Lepage de Tricatel, et Zacharias Nidam de UGOP).
« Dis-moi Aude, tu sais pas où je pourrais trouver une caméra ? », demande en arrivant un grand type, style hip hop. C’est Zacharias Nadim, qui officie chez UGOP, un label de rap et une des premières entreprises du réseau. « Pour en trouver une, tu peux envoyer un mail à toutes les entreprises du Mila », lui conseille l’intéressée. Et celle-ci d’ajouter « il y a souvent des mails qui circulent pour des petits services entre voisins ». Cela débouche parfois sur une production commune, comme entre Upton Park et La Familia pour le dernier album de Merzhin.
Une implication en dents de scie
Des coopérations qui restent ponctuelles. Au Mila, on reconnaît qu’au-delà des ambitions de départ, demeurent quelques difficultés.
« Il y a certaines personnes qu’on ne voit pratiquement plus aux réunions ou dans les locaux », confie Aude. « Elles préfèrent rester dans leurs boutiques. »
La contribution des membres du réseau n’est pas toujours égale. « On est toujours dans l’urgence, réplique-t-on chez Record Makers, donc on ne peut pas toujours beaucoup s’impliquer. »
Satisfaits d’être dans le réseau parce qu’il y a « toujours moyen de trouver un collègue au cas où » et de participer à la « mixité du quartier », ils reconnaissent que « ce n’est pas vraiment dans la culture d’un label indépendant de s’associer ». La plupart ont fait grandir seuls leur société en amont, et ont conservé leurs habitudes. Pour ceux-là, le Mila est un beau projet, mais la dimension humaine est reléguée au second plan, après la logique d’entreprise.
Autre problème, les entreprises ne devraient bénéficier des aides du Mila que deux ans chacune. Mais certaines ont investi dans le réaménagement de leur boutique. Difficile alors de laisser leur place à d’autres. Sans compter que certains financements disparaissent, comme celui du FCM, le Fonds pour la création musicale. « On est une structure qui aide, mais qu’on aide de moins en moins », regrette la coordinatrice.
« Avec des épiceries ou un Franprix, il y aurait plus d’ambiance »
Concernant l’intégration de la structure dans le quartier, les avis sont partagés. « Les jeunes ont l’impression qu’on leur vole leur quartier », lance Mathieu, éducateur, qui semble être remonté contre la structure musicale. « Demandez donc à ceux qui squattent les murs en fin d’après-midi. »
Pour Zayier Hachemi, un de ces « anciens » habitués à traîner devant les portes de l’épicerie, depuis l’arrivée du Mila, « le quartier est plus calme. » « Ils sont gentils, on se dit bonjour, continue-t-il, mais avec des épiceries ou un Franprix, il y aurait plus d’ambiance. »
Les restaurateurs, eux, sont ravis. « Depuis qu’ils sont là, ça nous fait une nouvelle clientèle » nous explique Paula, qui tient son restaurant en face des locaux du Mila. « Et puis, c’est un peu showbiz maintenant ! »
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