Récompensée à l’été 2017 pour son mix de streetwear et d’influences plus architecturales, la griffe de Laura Do et Bastien Laurent raconte le Grand Paris d’aujourd’hui : post-genre, post-classe, post-périphérique et fan de cloud-rap. Mais incluant avant tout.
En anglais, “Havoc” signifie ravages, dégâts… Cette volonté de détraquer le réel. “Ça nous plaisait bien, confient en chœur et avec une pointe de malice Bastien Laurent et Laura Do. Et puis c’est aussi le nom d’un rappeur, moitié de Mobb Deep, duo qu’on respecte énormément.”
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Composé de Havoc donc et du disparu Prodigy, (deux étudiants en art), ce duo de la Côte Est marque la scène rap du milieu des 90’s avec ses beats dark, ses textes âpres, sa façon de raconter sans concession le monde qui les entoure.
Une silhouette contemporaine que certains appellent “racaille”
Avoc, sans “h”, c’est le nom que Bastien et Laura se choisissent, quand il s’agit de monter leur marque. Et on pourrait sans trop de mal filer la métaphore : Avoc (pour “architecture vestimentaire et ornement corporel”), c’est leur Mobb Deep mode à eux. L’envie, avec un vestiaire sartorial et streetwear, de raconter le monde dans lequel ils vivent. Et même “celui de demain”, précise Bastien.
Ce monde, ce n’est pas celui des quartiers de LeFrak City et du Queensbridge que rappait Mobb Deep, mais celui du Grand Paris. “Avoc, c’est parisien mais pas au sens Isabel Marant du terme. Parisien, au sens PNL du terme”, poursuit-il avec son sens de la punchline.
Un Paris actuel qui imprime de plus en plus son tempo et commence à être pris en compte par les institutions. A l’été 2017, le duo a en effet remporté un prix à l’Andam (Association nationale pour le développement des arts de la mode), qui récompense la jeune création et donne une idée des tendances de fond.
En couronnant notamment Avoc et Y/Project, (la marque de Glenn Martens), l’Andam a inscrit dans le marbre l’apport et l’influence de cette silhouette contemporaine que certains appellent “racaille” et qu’on préférera nommer “survêt-baskets”, que Bastien incarne à merveille le jour de notre rencontre.
Grandi à Aulnay-sous-Bois avant d’intégrer Sciences-Po pour lui
“Cette mode devient de plus en plus visible et reconnue. Qu’importe si certains vont crier à l’appropriation culturelle des codes de banlieue. Je trouve que ça va dans le bon sens. Cela traduit une interconnexion entre Paris et la banlieue dix mille fois supérieure à celle d’il y a dix ans.”
“C’est une réalité d’image, de représentation, qui sera bientôt une réalité tout court grâce au métro qui reliera le tout. Je pense en tous cas qu’un gamin, qui grandit à Aulnay aujourd’hui, se regarde déjà différemment et a une meilleure image de lui.”
Bastien a grandi à Aulnay-sous-Bois. Sa famille et la majorité de ses amis y résident toujours. Il connaît très précisément, intimement, l’importance de ces codes et de leur assimilation ; comment elle peut déterminer un sentiment d’inclusion ou d’exclusion. Il en a fait l’expérience à l’adolescence, à 17 ans, quand son prof d’éco lui propose de poursuivre sa scolarité à Sciences-Po, avec quelques-uns de ses camarades. Pour la troisième année consécutive, l’école intègre en effet des étudiants de ZEP.
“On n’osait parler à personne”
Avec les quarante gars de son lycée qui ont rempli le dossier, le voilà parti en journée d’immersion. Là, Bastien se prend en pleine gueule un monde qu’il ne connaît pas. “On n’osait parler à personne. J’ai été très marqué par certaines gestuelles, des façons de se mouvoir. Je me souviens d’un garçon que j’ai connu par la suite : ses gestes me fascinaient, je ne les comprenais pas.”
“La virilité s’exprime très différemment selon les milieux, les classes sociales. Les habitudes aussi. Aller boire un café, pour nous, ça n’existait pas. Quand tu viens d’Aulnay, tu mets trois ans à sortir de cours et à aller chiller au café du coin. Tu adaptes ton vocabulaire, ta façon de marcher. Ces années m’ont changé la vie.”
Une enfance au Gabon avant le collège catholique pour elle
Après Sciences-Po, Bastien intègre une célèbre agence de com à Amsterdam, connue pour gérer l’image de Nike. “J’étais tombé sur un film pour Nike Football que l’agence avait réalisé cinq ans plus tôt : je m’étais juré d’y entrer. Avec la photographie, que j’ai toujours trouvée assez accessible, avec la musique, l’imaginaire autour de certaines marques grand public telles que Nike a été important. Leur DA m’obsédait un peu.”
A Amsterdam, sa route croise celle de Laura Do. Elle vient d’un background très différent. Enfance au Gabon, jusqu’à 10 ans, puis retour à Paris à l’institut Sainte-Geneviève, un collège catholique de la rive gauche. “Après les cours, on allait au café direct, se souvient-elle en riant. Le streetwear, ce n’est pas du tout ma culture. Je portais du Cacharel, du agnès b. L’uniforme, que j’avais gamine au Gabon, est quelque chose qui m’a marquée et qui a influencé ma conception du vêtement”, explique celle qui se dit aujourd’hui très fan de Lemaire.
Bastien, lui, serait plus Junya Watanabe ou Hussein Chalayan. Après des études à Esmod, Laura bosse pendant cinq ans chez Attilalou, aux côtés de Mathias Kiss, où elle conçoit des décors, fait de la peinture, de la dorure. Elle a également monté sa marque de fringues pour femme, uniquement sur mesure. “Seule, c’est ce qui me semblait le plus accessible”, explique-t-elle.
Très vite, ils décident de lancer une marque de mode qui ferait le pont entre leurs deux univers, une silhouette qui dépasserait les notions de genre et de classes sociales. “C’est notre réalité”, expliquent-ils. Le monoproduit ou le produit d’appel brandé, très peu pour eux.
Trois premières collections dans un autofinancement DIY
D’emblée, les deux acolytes font le choix de se positionner comme une marque de luxe, de faire “comme si”. “Normalement, tu as un nombre de clients déjà conséquent, qui t’amène à défiler. Nous, on a commencé par dessiner un défilé.” Sur leur site, Bastien n’hésite parfois pas à inscrire “sold out” quand le produit n’existe qu’en un seul exemplaire.
Les trois premières collections se passent ainsi, dans un autofinancement DIY. Des proches, qui se reconnaissent dans le projet, intègrent la bande et travaillent d’arrache-pied. “A mes futurs stagiaires, explique Bastien, je dis : ‘Ce dont j’ai besoin, c’est que tous les matins en te réveillant, ton problème ça soit Avoc. Si tu te réveilles et que t’es cool, c’est pas normal.”
Leurs collections sont toujours des reflets de ce qu’ils vivent, de leur état d’esprit, de leur position aussi en tant que marque de mode dans l’industrie. Par exemple, la première s’appellait, Domestic Madness. “On avait créé une boîte et à l’intérieur, on a mis en scène un couple qui se mettait sur la gueule.”
L’avant-dernière, Strictly Business, était porteuse de leur envie de décoller. La dernière en date, première post-Andam, s’appelait Périphéries et opérait avec force une synthèse de leur style. On retrouvait, portée entre autres par Ichon, leur silhouette futuriste post-gender, leur goût pour les textiles techniques, les vêtements marqués par une fonctionnalité mais souvent un peu “trashés”, détournés à l’aide d’empiècements de couleur.
L’inspiration du Grand Paris, qui infusait depuis plusieurs saisons, était ici assumée et écrite noir sur blanc dans le dos de certains manteaux. La bande-son electro et planante avait été composée pour l’occasion par Manaré, un de leurs collaborateurs, sur des indications de Bastien. “Je fais ça à chaque défilé. La musique, c’est hyperimportant pour nous aider à nous définir. C’était planant, un peu cloud.”
Il écoute quoi Avoc, au fait ? Lancée, la question devient un jeu entre eux. “Du rap post-2015, du cloud-rap, tout ce qui est auto-tuné, avance Bastien. L’Auto-Tune, c’est hyperincluant.” Laura renchérit : “Philip Glass”. La réponse fuse : “T’es sûre ? Trop arty. Je dirais Young Thug. Avoc, il n’est pas arty. Avoc, ça grince.”
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