Alors que s’ouvre le procès du coauteur présumé des attentats de Boston, ses groupies et admirateurs se déchaînent sur les réseaux sociaux. Les théories du complot s’y mêlent à une étrange fascination.
L’image a fait le tour des médias américains. On y voit une jeune fille, le visage encadré de longs cheveux noirs, arborant un T-shirt « Dzhokhar Tsarnaev is innocent » floqué d’un portrait du jeune homme comme passé au filtre Instagram. Elle s’appelle Jennifer Michio et criait son soutien à Djokhar Tsarnaev ce 10 juillet, devant le tribunal de Boston. Le jeune homme, coupable présumé du double attentat ayant fait trois morts et plus de deux cents blessés au marathon du 15 avril y comparaissait pour la première fois.
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Jennifer Michio n’était pas la seule fan à avoir fait le déplacement. Un petit groupe de supporters de Tsarnaev, armés de pancartes « Free Jahar » (son surnom) réclamaient la libération du jeune homme. Une action qui a fait sortir de ses gonds un passant, qui leur a lancé devant les caméras : « Vous êtes dégoûtants. Vous ne savez donc pas que des gens sont morts ? »
Les groupes de soutien à Jahar se sont formés dès le 18 avril, date à laquelle le FBI a rendu publiques des captures d’écran de vidéos de surveillance sur lesquelles on découvrait les visages de Djokhar Tsarnaev et de son frère aîné Tamerlan. Mais c’est leur traque durant vingt-quatre heures – qui s’est soldée par l’arrestation du premier et la mort du second – qui a consolidé ces groupes, très actifs sur les réseaux sociaux. Depuis fin avril, le hashtag #FreeJahar est utilisé sur Twitter pour diffuser des théories conspirationnistes, photos à l’appui. Certains avancent que c’est le gouvernement américain qui a orchestré le double attentat de Boston et en a fait porter le chapeau aux frères Tsarnaev. Une pétition lancée fin avril sur le site Change.org demandant à ce que Barack Obama garantisse un procès juste à Tsarnaev a recueilli 15 329 signatures. En trois mois et demi, le mouvement ne s’est pas essoufflé, les internautes redoublant d’activité depuis la comparution de Jahar devant le tribunal de Boston.
Des illuminés ? Pas seulement selon Bruno Fay, journaliste et auteur de Complocratie, enquête aux sources du nouveau complotisme (Editions du Moment, 2011), qui affirme que ces supporters sont surtout des « monsieur Tout-le-monde ». Pour lui, le profil type du complotiste a changé avec les attentats du 11 Septembre : « Beaucoup de gens ont basculé à ce moment-là dans les théories du complot. » Première explication : l’accélération du temps de l’information. « Les journalistes prennent moins le temps d’enquêter, donc les gens cherchent des explications aux phénomènes complexes ailleurs que dans les médias traditionnels. » Deuxième explication : l’hyperinformation. « On n’a jamais eu autant connaissance des vrais complots. On sait maintenant par exemple que les Etats-Unis nous ont menti sur la présence d’armes de destruction massive en Irak ou qu’ils nous espionnent. Ces manipulations avérées nourrissent les théories du complot. » Sans oublier, bien sûr, le rôle joué par les réseaux sociaux.
« Chacun devient son propre média et peut toucher des milliers de personnes avec une information, si le buzz est réussi, analyse-t-il. Il y a aussi la probabilité de rencontrer des gens qui pensent comme nous qui est démultipliée grâce à internet. »
Qui dit « monsieur Tout-le-monde » dit, dans le cas de Djokhar Tsarnaev, jeunes filles en fleur. Car si beaucoup le défendent sur la base de théories du complot, d’autres se muent en groupies pour lui vouer un culte façon rock-star. Qualifiées de « disgusting fan girls » par le Los Angeles Times le 10 juillet, elles commentent à longueur de tweets, de blogs et de pages Facebook, le physique du criminel présumé et peuvent péter les plombs à la vue d’un dessin de l’Associated Press le représentant au tribunal, si elles le jugent peu flatteur. Sur Twitter, une certaine @dzokharstruth poste le 3 juin la photo d’un de ses tatouages en forme d’idéogramme chinois signifiant « vérité » qu’elle s’est fait inscrire en l’honneur de Tsarnaev.
Le 11 juillet, @Cybeleko tweete en français : « J’osais pas le dire mais puisque certaines l’ont fait avant moi… Djokhar Tsarnaev est TROP BEAU !!! » Cerise sur le gâteau : le site américain Gawker rapportait en avril dernier avoir aperçu des photos de Djokhar Tsarnaev assorties de coeurs sur un Tumblr d’ados dédié à l’un des membres du boys band One Direction. Contactée par Gawker, la jeune fille expliquait : « Je le trouve mignon, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis impliquée dans ce mouvement. J’y suis car je ne trouve pas cela juste de mettre une personne totalement innocente en prison pour le reste de sa vie. »
Les supporters de Tsarnaev rappellent les « Holmies », ces fans de James Holmes, le tueur du cinéma d’Aurora (Colorado) en 2012, qui ont créé des Tumblr à sa gloire, ou encore les adorateurs de Luka Magnotta, « le dépeceur de Montréal ».
Cette attirance pour un criminel a un nom : l’hybristophilie ou ubristophilie, du grec hybris (la démesure), que Jean-Bernard Garré, psychiatre spécialiste de criminologie, définit comme « une fascination pour les gens qui transgressent, qui vont au-delà des limites ». Selon lui, cette « pulsion à transgresser nous libère des codes sociaux. Dans la nature, il n’y a pas de morale. La barbarie est donc éventuellement au fond de nous », rappelle-t-il.
Au sujet des fans féminines de Tsarnaev, Jean-Bernard Garré souligne tout de même l’importance des réseaux sociaux, moteurs de leur « hystérisation collective », qui leur assurent un quart d’heure de célébrité : « Elles veulent crier leur amour à la face du monde. S’il n’y avait pas de public pour les écouter, il y aurait moins de fans. »
Un engouement qui s’est matérialisé en envoi d’argent à Tsarnaev ainsi qu’à sa famille (9 000 dollars récoltés début juin selon Channel 4 News), et qui pourrait, selon Bruno Fay, lui être favorable dans son procès. « Je ne serais pas surpris que les avocats du jeune homme profitent de cette ambiance, utilisent des éléments de la théorie du complot pour défendre leur client… »
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