Elle sera restée plus de deux ans ministre de la Culture, malgré un budget massacré et une gauche de gouvernement vite convertie à la plus stricte orthodoxie économique. Mais l’austérité et Florange ont fini par être des couleuvres trop dures à avaler pour la députée de Moselle, pur produit de la méritocratie républicaine et brillant auteur des Derniers Jours de la classe ouvrière. Aurélie Filippetti raconte comment la caste des énarques empêche tout changement véritable.
On vous a reproché de ne pas assez incarner le ministère de la culture
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Aurélie Filippetti – Je pense que j’incarnais une forme d’antiparisianisme totalement assumé et qui n’a pas été forcément très bien vu de certains dans le monde de la culture. Moi, je sais d’où je viens, je le sais et le revendique. J’ai mené une politique ambitieuse et transparente de nominations, qui donnera ses fruits sur le moyen et le long terme. Je me suis élevée contre les monopoles de Google ou Amazon au nom de la diversité culturelle. Mais cela a dérangé des situations considérées comme acquises. Je me demande si les critiques qui m’ont été faites ne reposaient pas sur l’idée que j’étais trop à gauche. Pour beaucoup de gens, le ministère de la Culture doit être apolitique. C’est marrant, comme idée…
Vous avez pourtant soutenu Manuel Valls, représentant de la ligne droitière du PS, quand il a été nommé Premier ministre.
Je l’ai toujours respecté et apprécié. Il a le mérite d’être franc et fidèle. Après, j’ai eu des désaccords politiques avec lui. Quand il a été nommé Premier ministre, c’était dans le cadre d’un remaniement qui devait permettre de donner un tournant plus à gauche à la politique du gouvernement.
N’est-ce pas étrange alors de choisir quelqu’un qui voulait changer le nom du Parti socialiste ?
Justement : il aurait pu être là où on ne l’attendait pas. Il avait passé une alliance avec Benoît Hamon et Arnaud Montebourg l’automne précédent. Jean-Marc Ayrault s’en sort alors avec l’idée de la réforme fiscale qui le sauve temporairement. Ce pacte s’impose en avril après le désastre des municipales. Parfois, en politique, c’est ceux qui semblent le moins porté à faire ceci ou cela qui le font. Valls aurait pu surprendre.C’était cela l’idée d’avril. Ce n’est pas passé loin.
Pourquoi cela a-t-il échoué ?
Le virage sur l’aile gauche n’a pas été fait. En revanche, fin août, il y a eu l’explosion du gouvernement. C’est dommage car je pense que Valls avait avec lui les ministres nécessaires pour infléchir la politique. Finalement, il a décidé de rester collé à la ligne définie par le président de la République.
On n’a jamais vu, sous la Ve République, un Premier ministre imposer sa ligne au Président…
C’est le Premier ministre qui conduit la politique du gouvernement. La politique, c’est du rapport de force, cela aurait pu se construire. Mais il ne l’a pas souhaité. L’épisode de Frangy lui impose de choisir (Arnaud Montebourg et Benoît Hamon critiquent la ligne économique de François Hollande à la Fête de la rose de Frangy, provoquant leur démission forcée – ndlr). Et il fait le choix du Président.
Cet épisode a été plus vu comme une provocation lancée à Manuel Valls, à son autorité, qu’à un rappel de cette alliance.
Non. C’était un moyen de faire pression pour qu’il y ait une inflexion dans la ligne économique et politique. A ce moment-là, il y a encore deux voies possibles. Quand je prends ma décision de partir du gouvernement, je ne sais pas encore à quoi ressemblera le suivant mais a posteriori, les faits m’ont donné raison, je ne me serais pas vue dans ce gouvernement.
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