Ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement de Jean-Marc Ayrault de 2012 à 2014, sous la présidence Hollande, Aurélie Filippetti a suivi l’allocution d’Emmanuel Macron. Ecrivaine et aujourd’hui professeure, elle réagit aux mesures annoncées pour le secteur de la culture.
Qu’avez-vous pensé de l’allocution d’Emmanuel Macron ?
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Le Président a répété cinquante fois le mot « réinventer ». Il est certain qu’il a réinventé quelque chose c’est une forme de happening politique. En effet son intervention a donné l’impression d’un spectacle d’improvisation en direct, non préparé, d’une spontanéité parfois déconcertante chez celui dont les artistes et professionnels attendaient qu’ils les « sauvent ». Sur la forme de son intervention, je comprends que la vidéoconférence ait ses limites, mais cela ne me semble pas acceptable. Sur le fond à part le report d’un an pour les intermittents qui n’auront pas rempli leurs heures, rien de précis, rien de concret. On a eu l’impression que c’était lui qui attendait des idées plutôt qu’il n’avait de réponses.
Tout ce dont il a parlé existe déjà, et pour certains secteurs comme l’éducation artistique, on n’a eu aucune annonce sur les moyens qui seraient mis en œuvre pour parvenir à généraliser des actions qui existent partout depuis plus de 10 ans et qui pâtiront comme les autres des règles de distanciation sociale. Enfin, l’appel aux artistes pour les colonies de vacances est ridicule.
Est-ce une bonne réponse ?
Pour moi ce n’est pas une réponse. J’attends désormais que le ministre, qui a été beaucoup critiqué mais qui a travaillé, présente des propositions un peu plus sérieuses que cette harangue pleine de bonnes intentions qui tournait au numéro d’acteur. La réouverture des librairies était indispensable, mais quid de la réouverture des musées ? On n’y comprend rien : comment imaginer que les très grands musées vont rouvrir le 11 mai alors que nous n’avons aucun moyen d’y garantir les distances de sécurité ? Quels seront les publics prioritaires lors de la réouverture puisqu’il faudra bien limiter les entrées ? Et sous quelles conditions ? On le voit si le but des musées est de combler le déficit qu’ils auront accumulé, la tentation va être de privilégier des publics avec de forts moyens financiers, voire d’augmenter le prix d’entrée. Ce serait catastrophique car je pense qu’au contraire il faut tirer parti de la limitation des entrées et de l’absence des touristes étrangers pour privilégier les publics jeunes, mais aussi les gens qui ne vont jamais au musée.
Le fait que Macron réponde personnellement aux artistes, est-ce un désaveu de Franck Riester ?
Je crois que les signataires de la tribune dans Le Monde se sont trompés de cible en visant le ministre alors que depuis des années on sait bien que ce qui empêche les ministres de la culture d’agir, c’est l’absence de volonté du Président et du Premier ministre. J’en ai pâti comme d’autres avant moi et tous les autres après moi.
Pourquoi la culture semble-t-elle avoir été la grande oubliée du gouvernement en cette période de pandémie et confinement ?
Parce que cela fait des années que la culture n’est pas considérée à sa juste valeur par les présidents et donc par les ministres du Budget qui tiennent les cordons de la bourse.
Qu’aurait-il fallu faire ?
A part prolonger les droits des intermittents, il aurait fallu des mesures budgétaires fortes du président de la République qui l’engageraient et pour la fin de son mandat et qui permettraient à nos musées et établissements de ne plus devoir courir après les mécènes (qui seront en grande difficulté cette année à trois ou quatre exceptions près) ou après la billetterie dans une course frénétique à « l’événement ».
Le ministre de la Culture a-t-il vraiment la capacité d’agir ?
Le ministre de la Culture est celui qui connaît les dossiers et les besoins spécifiques du monde de la culture dans toutes ses dimensions : le patrimoine, la création, la transmission. Il a été fragilisé depuis des années par les réductions budgétaires et par la politique du fait du Prince qu’Emmanuel Macron a porté à son comble par ses nominations très personnelles. Et aujourd’hui par une vision naïve de la culture qui ne répond pas à l’urgence de la situation. Mais au moins le monde de la culture a-t-il réussi à obtenir que le Président s’exprime sur cette question, ce qui devrait permettre au ministre de faire avancer quelques dossiers autrement bloqués par Bercy ou par le Ministère du travail. Le Président par ailleurs doit s’engager plus sérieusement sur des initiatives européennes pour réguler les GAFAM et les faire entrer dans un modèle défendant la diversité culturelle, mais aussi tout simplement en faisant en sorte qu’elles paient leurs impôts en France ! Et sur ce point pour le moment, on peut dire que les initiatives européennes du Président Macron ont toutes été des échecs. Seule la commissaire Margaret Vestager s’est pour le moment sérieusement attaquée au problème des GAFAM qui est celui qui menace la diversité culturelle.
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