Après Making a Murderer, c’est le nouveau documentaire choc de Netflix. Alternant interviews et images d’archives, Audrie et Daisy retrace les histoires terribles d’ados américaines violées, puis humiliées sur le net.
Audrie Pott n’avait que 15 ans lorsqu’elle s’est suicidée un après-midi de septembre 2012. Une semaine auparavant, la jeune fille, qui fréquentait le lycée Saratoga dans la Silicon Valley, en Californie, s’était rendue à une soirée avec sa meilleure amie Amanda Le. Il y avait les mecs et les meufs cool du lycée, zéro parent et beaucoup de vodka.
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Ivre, Audrie avait été conduite à l’étage par plusieurs garçons qu’elle connaissait. Ils l’avaient déshabillée dans une chambre, lui avaient gribouillé sur tout le corps au marqueur indélébile – dessinant notamment une flèche pointant vers ses fesses surmontée d’un “anal” – avant de la doigter. Le lendemain, Audrie n’avait rien dit à sa mère, Sheila Pott. Tout simplement parce qu’elle ne se rappelait pas de sa soirée.
https://youtu.be/Q4aUnV7_UlA
« J’ai merdé et je ne peux rien réparer »
Elle essayera de la reconstituer en s’adressant sur Facebook aux garçons concernés, qui lui apprendront l’existence de photos volées. “Tu sais comment les gens me voient maintenant ? J’ai merdé et je ne peux rien réparer. J’ai une sale réputation et je ne pourrai jamais m’en défaire”, lâchera-t-elle à Josh, l’un des garçons incriminés.
Son histoire constitue la première partie d’Audrie et Daisy, documentaire choc distribué par Netflix. La seconde nous emmène à près de trois mille kilomètres de là, dans la bourgade de Maryville, Missouri, où Daisy Coleman s’est elle aussi fait agresser sexuellement en 2012, à l’âge de 14 ans.
Après avoir absorbé un mélange de tequila-vodka-Red Bull, Daisy rejoint des potes de son frère
Les faits sont similaires : après avoir absorbé un mélange de tequila-vodka-Red Bull, Daisy rejoint des potes de son frère dans une maison du quartier en compagnie de Paige, sa meilleure amie. Tout le monde picole. Daisy a des relations sexuelles avec Matthew Barnett, l’un des garçons, âgé de 17 ans, le tout filmé au smartphone par un comparse, Jordan Zech.
Le lendemain, sa mère la retrouve dans le jardin familial, allongée dans la neige, proche du coma éthylique. Elle ne se souvient de rien, peut à peine marcher. Paige est dans le même état. Les garçons sont arrêtés, interrogés puis relâchés, faute de preuves, explique le shérif du comté, qui estime face caméra qu’“il ne faut pas sous-estimer le besoin d’attention des jeunes filles”.
Cyberharcèlement et slut-shaming
Une phrase lâchée l’air de rien mais qui résume bien la violence des réactions qu’ont dû subir Audrie et Daisy, toutes deux traitées de “menteuses”, de “salopes” par leurs camarades du lycée commepar de parfaits inconnus. Car à peine les affaires fuitaient-elles dans la presse locale que les réseaux sociaux explosaient sous l’afflux de messages. Chacun y allant de son attaque gratuite.
Un phénomène de cyberharcèlement doublé de slut-shaming (le fait de culpabiliser une femme victime d’agression, de harcèlement sexuel ou de sexisme) placé au cœur du documentaire par ses deux réalisateurs américains, accessoirement mari et femme, Jon Shenk et Bonni Cohen.
“Il n’y a aucune raison de ne pas croire ces filles. Pourquoi voudraient-elles voir leurs noms associés à ce type d’affaires ? Ça n’a pas de sens. Dans les cas d’agression sexuelle, ça finit souvent avec la parole de l’un contre celle de l’autre car il y a souvent peu de preuves. Cela étant dit, il n’y a aucune raison qu’une jeune fille mente là-dessus. D’ailleurs, la majorité des cas montrent bien qu’une femme disant avoir été violée a bien été violée !”, s’écrient-ils de concert au téléphone.
Une histoire de défiance et de solitude
Au-delà des agressions sexuelles, c’est donc une histoire de défiance que nous raconte Audrie et Daisy. Une histoire de solitude aussi, celle de jeunes filles que peu de personnes ont bien voulu croire, Daisy se voyant même renvoyée de l’équipe de cheerleaders pour mauvaise conduite. Résultat : les Coleman finissent par déménager. Huit mois plus tard, leur maison est incendiée.
L’affaire, qui porte plus souvent le nom de Maryville que celui de Daisy Coleman – comme si l’identité de la victime importait peu ou méritait d’être effacée –, avait pris une ampleur nationale telle qu’elle était parvenue aux oreilles des Anonymous, les hackers justiciers tirant la sonnette d’alarme en lançant le hashtag OpMaryville. Sans que l’enquête ne soit rouverte. Parce que Matthew Barnett et Jordan Zech faisaient partie de la prestigieuse équipe de sport du lycée ? Ou bien parce que le premier a pour grand-père Rex Barnett, l’ancien gouverneur du Missouri ?
Le documentaire se concentre sur le rôle dévastateur joué par les réseaux sociaux
Le documentaire laisse ces questions en suspens et se concentre sur le rôle dévastateur joué par les réseaux sociaux dans ces affaires impliquant des ados à peine sortis de l’enfance, novices en matière d’alcool, de sexe et de soirées.
Le film donne aussi la parole à Delaney Henderson, violée à l’âge de 16 ans par deux élèves de son lycée en Californie ; et Jada, dont les photos de l’agression au même âge avaient largement circulé sur la toile. “Aujourd’hui, plus de mal peut être fait plus vite via internet, estime Jon Shenk, mais paradoxalement ces filles se sont reconstruites grâce au soutien trouvé en ligne.”
« Déclencher une conversation mondiale »
“Ces histoires arrivent aux quatre coins du pays et sont pourtant similaires. On se rend compte qu’elles pourraient survenir n’importe où dans le monde et on s’identifie. C’est aussi la force de ce documentaire, et c’est ce que nous recherchons chez Netflix”, analyse Lisa Nishimura, directrice des contenus documentaires chez le leader de la VOD, qui a décidé de produire Audrie et Daisy après l’avoir vu à Sundance. “Ce film peut déclencher une conversation mondiale sur le sujet. Le buzz autour de la sortie du trailer nous a déjà donné un indicateur positif.”
Si Netflix diffuse des documentaires depuis toujours, l’entreprise n’a commencé à en faire une composante essentielle de sa stratégie qu’il y a quelques années. En 2015, Making a Murderer, série documentaire de dix épisodes retraçant l’affaire Steven Avery (un Américain emprisonné dix-huit ans pour viol et innocenté par un test ADN), marque un tournant dans son histoire comme dans son approche du genre. “Le documentaire intrigue et fascine le public car il parle de faits réels. C’est un genre qui est à la fois informatif et captivant, qui traite de questions sociétales, donc de l’être humain.”
Après Audrie et Daisy, Netflix mise sur un documentaire abordant l’affaire Amanda Knox, jeune femme accusée du meurtre de sa coloc en 2007 avant d’être innocentée. Le choix de sortir une bande-annonce en deux volets – un “croyez-la” et un “suspectez-la” – achève de démontrer que Netflix maîtrise à merveille l’art du documentaire haletant, envisagé de la même façon qu’une série télé. Carole Boinet
Audrie et Daisy documentaire de Jon Shenk et Bonni Cohen, sur Netflix dès le 23 septembre
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