Peut-on être à la fois journaliste et engagée ? Si Audrey Pulvar dérange, elle continue de revendiquer sa liberté d’action et de parole.
Elle est toute la semaine sur France Inter, entre 6 et 7 heures, et tous les samedis dans On n’est pas couché sur France 2. Mais, depuis quelques semaines, elle est surtout au coeur de la polémique. Prise dans la tourmente, bousculée par la campagne, Audrey Pulvar est devenue un véritable objet de crispation et de défoulement. Un jour, Jean-François Copé l’accuse d’être militante du PS. Un autre, une pétition est lancée pour réclamer son départ de France Télévisions et de Radio France. Puis c’est un député UMP qui demande que ses sorties médiatiques soient comptabilisées dans le temps de parole du PS.
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Aujourd’hui, chacune de ses apparitions est un sujet de débat. Parce que sa position dans le champ médiatique est unique. Compagne d’Arnaud Montebourg, femme de gauche, engagée publiquement, Audrey Pulvar se veut aussi, et surtout, journaliste intègre et indépendante. Elle sait que la position s’avère périlleuse, mais elle s’y accroche. Comme elle peut.
Comment vivez-vous le fait d’être devenue, au-delà de votre rôle de journaliste, une agitatrice, souvent mal aimée, du débat public ?
Audrey Pulvar – C’est éprouvant et fatiguant. Tout ce que je dis est retenu contre moi. Quel que soit le sujet, la façon dont je l’aborde, il y a toujours quelqu’un pour me reprocher quelque chose. Mais j’en ai un peu l’habitude. Quand je travaillais en Martinique, on me rappelait sans cesse que j’étais la fille de mon père. Lorsque je suis venue travailler en France, il y a onze ans, on me renvoyait aussi à ma position de première femme noire sur une grande chaîne hertzienne, puis je suis devenue la gauchiste de service parce que j’avais manifesté contre la non-compensation de la suppression de la publicité sur France Télévisions en 2008… Il y a toujours une surinterprétation de ce que je dis. Pourtant je n’ai pas d’arrière-pensée. Je suis cash.
Comment expliquez-vous que vous suscitiez autant d’hostilité ? A cause de votre personnalité pugnace ou de vos liens sentimentaux avec Arnaud Montebourg ?
Je sais que j’ai un tempérament virulent. Je suis comme ça. Je n’aime pas particulièrement le clash, mais on me renvoie tout le temps à mes interviews musclées, comme celle de Nicolas Sarkozy en 2008 (Audrey Pulvar avait alors demandé au Président à combien d’arrestations il fallait procéder pour atteindre l’objectif de 25 000 expulsions de sans-papiers – ndlr).
Ce que je demande, c’est qu’on me juge sur le fond. Par exemple, sur l’interview de Jean-François Copé dans On n’est pas couché. Dès le départ, il m’a dit que je n’étais pas qualifiée pour lui poser des questions. Qu’est-ce qu’on fait à ce moment-là ? On la ferme, ou bien on continue son boulot. Et comme il montait progressivement en pression et en tension, il a trouvé quelqu’un en face de lui, c’est vrai.
Regrettez-vous votre remarque sur les vacances de Copé avec Takieddine (au terme de cet échange musclé, Audrey Pulvar avait lancé au patron de l’UMP que, contrairement à lui, elle n’irait pas barboter dans la piscine de Ziad Takieddine – ndlr) ?
Pas du tout. On n’est pas couché est une émission d’infotainment, on est trois à mener une interview, il y a des interruptions intempestives, les invités interviennent, cela n’est pas du tout comparable à une interview politique ritualisée, en face-à-face. Mettons de côté la réflexion sur Takieddine, qui était plus un tacle qu’autre chose, pour répondre à ceux qu’il m’avait adressés, et mettons à plat les questions que j’ai posées à Jean-François Copé. En quoi étaient-elles partisanes ? Je dis à Copé : vous accusez la gauche d’être dépensière, vous défendez la posture d’une droite raisonnable ; or on constate qu’en cinq ans de mandature l’ensemble des prélèvements obligatoires a augmenté d’un point et demi. Je le mets face à des contradictions entre les promesses de la droite et la réalité, sur la TVA sociale. Je lui pose une question sur la gouvernance de Sarkozy et sur l’exercice du pouvoir que beaucoup de citoyens lui reprochent. Et lui de me répondre : vous faites du militantisme. Je ne pense pas être la seule personne en France qui considère que les Français ont un problème avec la façon dont Sarkozy a gouverné.
Mais d’où parlez-vous ? En tant que femme engagée, en tant que journaliste travaillant dans plusieurs médias, en tant que compagne d’un homme politique ? Comment s’en sortir lorsqu’on est, comme vous, tenue et contrainte par un système de positions aussi complexe?
Je parle en tant que personne libre. Je suis une journaliste engagée. Je ne suis pas la femme de, je n’ai pas de carte dans un parti politique, je ne vais pas dans des meetings autrement que lorsque je fais mon travail, et comme je ne fais plus de terrain, cela fait longtemps que je n’y suis pas allée. Mais j’ai des prises de position publiques : sur le féminisme, contre le racisme, contre le système des élites et les inégalités. Je rappelle que dans l’émission de Laurent Ruquier c’est la règle du jeu, j’y suis en tant qu’éditorialiste et que personne engagée. Quand je présentais le 19/20 sur France 3, les gens ne pouvaient pas savoir ce que je pensais. Les règles ne sont pas les mêmes en fonction des espaces journalistiques. Ce que je ne sais pas, c’est si je pourrai revenir un jour à une position plus neutre. Je n’en suis pas sûre.
Vous revendiquez l’idée qu’un journaliste doit assumer ses positions. Et donc contourner le principe de neutralité enseigné dans les écoles de journalisme ?
Je pense qu’il ne faut pas le faire tout de suite ; je n’étais pas comme cela au début de ma carrière. Il faut apprendre aux jeunes journalistes leur travail de médium, de non-distorsion de l’information. Cela me semble normal que, durant les quinze premières années, j’aie pu être dans une position très neutre, comme la plupart de mes confrères, qui ne montrent jamais leurs affinités. Je pense que j’ai construit ma légitimité professionnelle et j’ai considéré, peut-être à tort, que je pouvais passer à une autre phase.
A quel moment avez-vous opéré ce tournant ?
A partir de la manifestation contre la suppression de la publicité, fin 2008. J’ai assumé à ce moment-là d’avoir un regard engagé sur la situation.
Aujourd’hui, assumez-vous clairement être de gauche ?
J’assume qu’on le dise de moi, mais je ne le dis pas. Je ne suis pas allée voter à la primaire socialiste. Ce n’est pas que je ne voulais pas être perçue comme étant de gauche, mais pour moi, la gauche, c’est beaucoup plus que le parti socialiste. Je ne veux pas être considérée comme une encartée ou une béni-oui-oui du candidat socialiste. Je n’autorise personne à dire que je suis pro-Parti socialiste ou que je vais voter François Hollande. D’ailleurs, je ne sais toujours pas pour qui je vais voter…
Mais comment séparer à ce point vie privée et vie professionnelle ?
C’est assez schizophrène, parfois, oui. Cela m’arrive assez souvent d’avoir des informations que je ne donne pas à Arnaud, et inversement. Cela m’est arrivé de lire des épreuves de livres qui le mettaient en cause, et de ne pas lui en parler. De la même façon, cela lui est arrivé de commencer une phrase et de s’interrompre, préférant ne pas m’en parler. Cela nous permet aussi de ne pas être trop influencés l’un par l’autre.
Avant d’interviewer Jean-François Copé, en avez-vous parlé avec Arnaud Montebourg ?
Non. Mais il a vu l’interview et on en a parlé après. Il m’a dit de faire attention, comme Laurent Ruquier et Catherine Barma, la productrice d’On n’est pas couché, qui ont trouvé que je prêtais le flanc à la critique. Je me prends assez de seaux d’algues vertes sur la tête toute la semaine, sur Twitter, sur les forums de France 2.
Dans votre logique de cloisonnement entre vie privée et vie publique, monter sur scène avec Arnaud Montebourg après la primaire était une erreur…
Oui, mais cela n’était pas prévu comme ça. A La Bellevilloise, je ne m’attendais pas à une telle foule de journalistes ; en sortant de la voiture, on a été happés, portés par la foule, il y avait plus de journalistes que de militants. Je me suis retrouvée là un peu malgré moi, pas très à l’aise. Si c’était à refaire, je ferais autrement.
A vos dépens, vous contribuez à nourrir l’idée que les journalistes sont de connivence avec les politiques.
Oui. J’ai la sensation de gêner certains confrères. Ils trouvent que je suis trop borderline, que j’incarne trop le mélange des genres, et que cela nuit à l’image de la profession. Je suis au coeur de plein de connexions. J’ai beau me débattre pour dire que je fais mon travail en fonction des lieux où j’exerce, que je parle en tant que femme indépendante et non en tant que femme de, je sens bien que beaucoup de journalistes ne sont pas à l’aise avec ça. J’en suis consciente. Je considère qu’en dehors de mon cadre privé, certes, j’ai un rapport très sain avec les politiques, ce que beaucoup de confrères n’ont pas. Je ne les tutoie pas, à part Nathalie Kosciusko-Morizet, c’est la seule, je ne les vois pas, je ne passe jamais de moments privés avec eux, je ne connais pas les cadres du PS en dehors de mon travail, je ne suis allée que deux fois rue de Solférino… Je ne dîne jamais avec eux et Arnaud. La seule fois où cela s’est passé, c’était avec Boris Vallaud, le directeur général des services du conseil général de Saône-et-Loire dont la femme est Najat Vallaud- Belkacem, avant qu’elle ne soit porte-parole du PS, il y a plus de deux ans. Quand ma relation avec Arnaud a commencé, je savais que cela poserait problème, je me suis dit que je ne devais pas engager ce lien, pour ma tranquillité d’esprit. Je n’avais pas non plus prévu la primaire socialiste, les 17% d’Arnaud, la percée de François Hollande… Je ne pouvais pas le prévoir.
Au-delà de votre cas, avez-vous l’impression que les journalistes sont trop connivents avec les politiques ?
C’est malhonnête de mettre tous les journalistes dans le même sac, mais c’est vrai que certains d’entre eux sont très proches des politiques, ou au moins font passer des opinions politiques au travers de leur travail. Des éditorialistes comme Eric Brunet, Robert Ménard, Eric Zemmour ou Etienne Mougeotte, qui est quand même au Grand jury de RTL tous les dimanches soir, ont exprimé des idées très claires. Etienne Mougeotte faisait même partie d’une équipe dévolue à la réélection de Nicolas Sarkozy. Et il n’y a pas d’hallali sur eux. On leur reconnaît la possibilité d’exprimer leur opinion… Moi, on ne m’attaque jamais sur mes opinions, on m’attaque sur celles de mon compagnon. Je trouve cela insupportable.
Vous venez de la Martinique, où la société est considérée comme très matriarcale… Est-ce que cela joue dans votre volonté d’assumer votre indépendance par rapport à votre compagnon ?
Oui, bien sûr. J’ai grandi en Martinique jusqu’à 14 ans, dans une société post-esclavagiste. Pendant l’esclavagisme, même s’il a été aboli il y a cent soixante ans, l’homme n’était pas le chef de sa famille, il était un reproducteur, ses enfants ne lui appartenaient pas… Cela laisse des traces, cela construit un rapport de force entre les sexes très différent de celui que l’on connaît en France. En Martinique, les femmes décident de beaucoup de choses, elles sont très indépendantes, elles s’assument. Moi-même, je suis partie très tôt de chez mes parents, je me suis très vite assumée, je ne me suis jamais mariée. En France, j’ai entendu des choses qui m’ont fait halluciner. On m’a dit : “comment toi, une belle fille, tu ne peux pas trouver un mec pour t’entretenir ?”, “il faut que tu te maries”… En France, la société est très patriarcale. Cela explique certaines incompréhensions, et ces accusations de “fille de”, “femme de”…
Avez-vous le sentiment d’être plus durement traitée que, dans le passé, Christine Ockrent ou Anne Sinclair, elles-mêmes compagnes d’hommes politiques…
Oui. Parce que l’époque a changé. La netosphère, la twittosphère mettent la pression sur les politiques, poussent à être plus virulent et amplifient tous les phénomènes. Mais toute la mécanique visant à faire de moi une cible permet surtout de renverser le problème. Parce que ce n’est quand même pas moi qui étais porte-parole du gouvernement, ministre du Budget et qui allait barboter dans la piscine de Takieddine, quelqu’un sur lequel la justice s’interroge…
Vous semblez quand même vous complaire à nourrir le débat. Votre intervention dans la polémique récente autour d’un article paru dans Elle (Audrey Pulvar avait dénoncé un “papier de merde” et “raciste” ayant pour sujet le style vestimentaire des femmes noires – ndlr) a par exemple fait beaucoup jaser.
Mais c’est la même chose. Je veux bien prendre des coups pour ce que j’ai écrit sur Elle, mais il faut quand même garder à l’esprit pourquoi j’ai écrit ça… Je ne regrette pas d’avoir pris position là-dessus. Sur Elle, ou sur Guerlain, il y a une dimension supplémentaire, symbolique. Nous ne sommes pas nombreux dans la sphère médiatique à avoir mon histoire, mon parcours, mes ramifications familiales, à pouvoir dire des choses, les dire fort. Si je ne dis rien, je déçois beaucoup de gens. Ce qui me fatigue, c’est que d’autres personnes pourraient parler mais ne le font pas. J’ai une dimension de porte-parole, même si ce n’est pas le rôle que je préfère… Mais on m’attend sur ce genre de choses, comme Lilian Thuram, comme Rokhaya Diallo (chroniqueuse radio et télé aujourd’hui présente sur Le Mouv’ et LCP – ndlr)…
Recueilli par Marc Beaugé et Jean-Marie Durand
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