Le seul membre encore vivant des commandos du 13 novembre sera entendu pour la première fois ce vendredi par les juges d’instruction. Salah Abdeslam collaborera-t-il avec la justice française comme il le clame depuis son arrestation, le 18 mars dernier ?
Frank Berton en avait fait une condition sine qua non pour accepter d’être son avocat : que Salah Abdeslam collabore avec la justice française et s’explique sur son rôle pendant les attentats du 13 novembre. Le seul membre encore vivant des commandos de ce funeste vendredi soir, notamment mis en examen pour assassinats et tentatives d’assassinats à caractère terroriste, est entendu vendredi 20 mai pour la première fois par les juges d’instruction français depuis son transfèrement à Fleury-Mérogis, le 27 avril dernier. « On espère la vérité, mais on n’est pas dupe, confie Me Samia Maktouf, avocate de plusieurs familles de victimes. Salah Abdeslam a prouvé à plusieurs reprises être dans la mascarade, dans le jeu, vis-à-vis de la justice. On ne compte pas sur lui pour faire toute la lumière sur cette histoire ».
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L’enjeu de la journée est double : éclairer sur son rôle exact lors des tueries mais également sur la nébuleuse djihadiste à laquelle il appartient, la tentaculaire cellule « Paris/Bruxelles ». Par ses révélations, Salah Abdeslam, présenté comme l’un des logisticiens des attentats, pourrait faire avancer l’enquête à grands pas. « Cette audition est la première d’une longue série, relativise une source proche du dossier. On n’aura pas toutes les réponses en cinq minutes. C’est une prise de contact : les juges vont essayer d’établir une relation pour qu’il livre le maximum d’informations mais on ne sait pas encore comment il va réagir : parlera-t-il de lui-même ? Faudra-t-il lui poser des questions ? Va-t-il livrer des noms ? ».
Mensonges à Bruxelles
Les attentes autour de cette audition sont grandes, peut-être un peu trop. Depuis son arrestation, le 18 mars à Forest, le djihadiste martèle, par la voix de ses avocats, vouloir s’expliquer mais les premiers interrogatoires à Bruxelles ont été décevants. Entendu à deux reprises, le terroriste n’est certes pas resté muet, mais il n’a rien révélé aux enquêteurs belges qu’ils ne savaient déjà. Plus grave encore, il a sciemment menti. Il a ainsi juré que la « seule fois » où il a vu « Abaaoud de [sa] vie », c‘est la veille des attentats, dans la planque de Charleroi. Or, les deux hommes ont grandi ensemble, dans le quartier de Molenbeeck en Belgique, et sont amis depuis l’enfance.
Depuis ces auditions, les avancées de l’enquête ont également jeté le trouble sur ses déclarations. Aux enquêteurs belges, il a assuré avoir « renoncé » à se faire exploser au Stade de France. Faux, assure son cousin qui l’a hébergé lors de sa fuite : le djihadiste lui aurait confié que sa ceinture était défaillante et « manquait de liquide [explosif] ». « Dans n’importe quelle audition, il faut discerner le vrai du faux. Cette affaire ne fait pas exception à la règle et Abdeslam ne serait pas le premier suspect à mentir », assure cette même source.
Minimiser son rôle
Salah Abdeslam sera-t-il plus coopératif avec les juges d’instruction français qu’avec leurs homologues belges? Les récentes déclarations de son conseil bruxellois, Sven Mary, qui le décrit « un petit con » à « l’intelligence d’un cendrier vide » et d’une « abyssale vacuité » laissent penser que le djihadiste cherche à minimiser son rôle. Au cours de ses auditions en Belgique, Salah Abdeslam lui-même n’a eu de cesse de se présenter comme un pion à la solde d’Abdelhamid Abaoud – qu’il désigne comme le « responsable » des attaques – et de son frère aîné, Brahim. Oui, il a loué les voitures qui ont servi aux attaques et réservé des chambres d’hôtel pour les membres du commando mais il l’a « fait à la demande de Brahim », a-t-il assuré aux enquêteurs belges. Et de préciser : « chaque fois que j’ai dû louer des choses pour préparer ces attentats, l’argent venait de Brahim ».
Or, les deux hommes sont décédés : le premier dans l’assaut du Raid à Saint-Denis, le second en se faisant exploser Comptoir Voltaire, dans le XIe arrondissement. « Sa ligne de défense est très simple : faire porter le chapeau à ceux qui sont morts et se présenter comme un second couteau embrigadé par un réseau, s’indigne Me Samia Maktouf. Salah Abdeslam n’est peut-être pas le cerveau des tueries mais c’est un maillon important. Il en sait bien plus qu’il ne veut le dire. Ma principale crainte est qu’il se fasse passer pour un repenti ». « Les auditions sont un élément parmi d’autres pour faire avancer une enquête, il ne faut pas s’arrêter à ça », assure une source proche du dossier. Preuve en est : l’instruction avance à grands pas, avec ou sans la participation d’Abdeslam.
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