A Laâyoune, dans le Sahara-Occidental, le démantèlement d’un campement géant de plusieurs milliers de contestataires a fait dix morts.
Trois jours après l’intervention des forces de sécurité marocaines, il ne reste rien du « campement de la colère ». Au total, « près de 5000 tentes », témoigne un journaliste marocain envoyé sur place pour le compte d’un hebdomadaire d’opposition. « Des tentes montées les unes à côté des autres, à perte de vue, aux portes de Laâyoune, en plein désert et ce, en à peine quinze jours. » A l’origine, un mouvement social, le premier de cette ampleur depuis la Marche verte et l’annexion du Sahara-Occidental par le Maroc en 1975.
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Dans ce campement, des milliers d’insurgés – 20 000 selon les manifestants, 5000 selon le ministère de l’Intérieur marocain, très organisés, par arrondissements et par quartiers, avec distribution de nourriture et collecte des déchets. « Une ville dans la ville », raconte notre confrère, qui tient à garder l’anonymat. Une ville sécurisée par un cordon de policiers…
« Au début, les principaux meneurs étaient des chômeurs, venus avec femmes et enfants. Ils réclamaient de meilleures conditions de vie, et un travail décent », raconte une journaliste française qui s’est rendue sur place une semaine avant l’intervention des forces de sécurité.
Le taux de chômage à Laâyoune est très élevé : plus de 20% contre une moyenne nationale de 9%. Parmi les insurgés, plus discrets, on trouvait aussi quelques militants indépendantistes, soutenus par le Front Polisario, qui revendique l’indépendance depuis maintenant trente-cinq ans.
Le gouvernement décide de démanteler à coups de canons à eau
Début novembre, après deux réunions avec les meneurs, le gouvernement marocain propose une rallonge de 150 euros mensuels (l’équivalent du smic au Maroc) aux familles les plus en difficulté, ainsi qu’un lopin de terre. Mais la solution est finalement rejetée par les contestataires. Le gouvernement décide alors d’intervenir et de démanteler le campement par la force, à coups de canons à eau.
« Les militaires avaient l’interdiction d’utiliser des armes ou de tirer », précise Mohammed Khabbachi, responsable de la communication du ministère de l’Intérieur marocain. Mais très vite, la poudrière explose. Les « insurgés » se rebellent et s’en prennent violemment aux forces de l’ordre dont la réaction sera immédiate.
Les affrontements auraient fait dix morts, selon le dernier bilan officiel. Essentiellement parmi les forces de sécurité. Mais les chiffres sont difficiles à vérifier. Le Front Polisario parle de son côté de plusieurs civils tués, sans qu’aucun journaliste ait pu en avoir la preuve.
« Nous avons recueilli les identités des gendarmes, des policiers et des pompiers qui ont été tués, mais je n’ai rencontré aucune famille qui pleurait un mort, ni assisté à aucun enterrement », raconte notre confrère marocain.
Il accrédite ainsi la version officielle, ce qui n’est vraiment pas dans les habitudes de l’hebdomadaire pour lequel il travaille.
96 personnes inculpées pour violences
Depuis, « la ville est quadrillée par les forces de l’ordre », témoigne Isabelle Mandraud du Monde, l’une des rares journalistes étrangères à avoir pu se rendre sur place après le démantèlement de lundi dernier. Une dizaine de journalistes espagnols ont été interdits d’accès à Laâyoune, accusés « de connivence avec le Front Polisario » et « d’un traitement déséquilibré du conflit ».
Sur place, 160 personnes ont été interpellées dont 96 ont été inculpées lundi pour violences lors des émeutes qui ont suivi le démantèlement. Pêle-mêle « des Sahraouis, des Algériens, des Marocains du nord, des anciens des camps de Tindouf », témoigne notre confrère marocain, qui insiste sur la nouveauté des attaques perpétrées contre les forces de sécurité marocaines. Des attaques à l’arme blanche (au couteau). Un policier aurait même été égorgé en pleine ville. Des méthodes qui ne sont pas sans rappeler la « guerre civile algérienne », soupire le reporter marocain, qui n’ose pas aller plus loin dans son interprétation.
Emilie Refait
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