Au lendemain des terribles attentats du 13 novembre qui ont frappé Paris et Saint-Denis, la population se mobilise et clame que « Paris doit rester une fête ».
Alcool, foot & rock’n roll. C’est la nouvelle devise de la capitale, en forme de bras d’honneur aux assassins. Depuis que l’Etat islamique, dans son communiqué revendiquant les attentats, confirme s’en être pris au Bataclan “où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité”, depuis que l’organisation terroriste se vante d’avoir fusillé les terrasses des cafés dans les “rues malodorantes de Paris”, la réponse des Parisiens et des Dyonisiens est catégorique : je ne suis plus Charlie, désormais, “Je suis en terrasse” !
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#ParisDoitResterUneFete
Passée la gueule de bois du samedi – l’étourdissement pas vraiment dû à l’alcool – les mots d’ordre fusent sur les réseaux sociaux. #ParisDoitResterUneFete, le hashtag lancé par Olivier Lambert sur Twitter, est déjà dans les trends, tandis que sur Facebook le groupe Paris Est Toujours Une Fête publie une playlist chaque soir, à diffuser depuis le balcon ou l’autoradio. Le bobo du quart nord-est parisien, nouvelle cible de Daesh, excelle sur ce terrain. “Si boire des coups, aller au concert ou aller voir un match ça devient un combat, alors tremblez, terroristes ! Parce qu’on est SUR ENTRAINES !!!”, lit-on sur Twitter.
Cette identité de picolo-teufeur devient un drapeau, une revendication, comme sous la plume de Maître Eolas : “Dans son communiqué, Daech qualifie Paris de “capitale de l’abomination et de la perversion”. La flatterie ne les mènera nulle part”.
Daesh qualifie dans son communiqué Paris de « la capitale des abominations et de la perversion ». La flatterie ne les mènera nulle part.
— Maitre Eolas ✏️ (@Maitre_Eolas) 14 Novembre 2015
Jamais le lifestyle n’aura porté si haut les couleurs de la résistance. Les médias se font vite le relais de cette révolte au coin du bar. De la une de Charlie, au manifeste de Brain, de la revendication de la “perversion” sur Libé à l’ode à l’alcool et au rock sur France Inter, la revue de presse et les verres à bière débordent d’enthousiasme. Au passage, la chronique de Guillaume Meurice, “reporter de guerre en terrasse” et son “Entre ici Jean Moulin à café”, vaut le détour.
Partouze géante place de la République
Les commentateurs étrangers embrayent : un texte posté sous l’article du New York Times relatif aux attentats, célébrant l’art de vivre “à la française”, ses mini jupes-clopes-vin rouge et sa bonne bouffe, est rapidement devenu viral. Le “french way of life” est acclamé jusque sur HBO par l’humoriste anglais John Oliver qui moque le communiqué de l’EI : “Si vous vous lancez dans une guerre de culture et de mode de vie avec la France, GOOD FUCKING LUCK ! Vous débarquez avec une doctrine de frugalité et d’abnégation au milieu d’une guerre pâtissière (avec les macarons, les madeleines et la PUTAIN de pièce montée). Vous êtes foutus”. Et encore : il a oublié les cornes de gazelle du Faubourg-Saint-Antoine. Les terroristes nous ont pris nos potes, mais c’est comme s’ils nous avaient rendu notre âme. Et ça s’emballe, ça s’emballe. Des extrémistes du cool en sont carrément à proposer une partouze géante place de la République pour faire la nique à ces rabat-joie.
Malheureusement, au-delà des rodomontades 2.0, c’est un peu plus compliqué. “Tout le monde est stressé, on est en pleine psychose : dès qu’il y a un bruit, on part en courant”, constate Eric Labbé, à la tête du Yoyo et du Zig-Zag au Palais de Tokyo. Les mouvements de foule suite aux pétards lancés place de la République dimanche soir en témoignent. On a vu les terrasses se vider d’un coup, les clients morts de trouille – et c’est bien compréhensible – fuyant se réfugier à l’intérieur des cafés. Même à l’heure où d’ordinaire les lions vont boire, les troquets du XIe paraissent déserts.
“C’est sûr que le week-end prochain, économiquement, on va se prendre une méga baffe”, assume Eric Labbé. L’auteur, il y a trois ans, d’une pétition regrettant que “Paris meurt en silence” s’en désespère : “C’est d’autant plus dommage que ces dernières années, on assistait à un revival de la scène électro-festive.” Il ne rend pas les armes mais compte les annulations de DJ et le manque à gagner. Du côté de la Chambre syndicale des cabarets et discothèques, on confirme. Aurélien Dubois, en charge de la Concrète et porte-parole de plus de 400 établissements donne les chiffres : “C’est facile, on est à zéro. Zéro réservation dans les cabarets, zéro dans les clubs.”
Rallumer le feu
Comment rallumer le feu ? Après le moment du deuil, de nombreux lieux de nuit, du Badaboum au Wanderlust, lancent ce mercredi le mouvement “Dansons plus que jamais”. “C’est la grande famille de la nuit parisienne qui a été visée par ces attentats, clament-ils, mais aussi une certaine manière d’envisager la vie que nous défendons tous quotidiennement. (…) C’est pourquoi nous avons unanimement décidé de réouvrir au plus vite (dès mercredi pour certains, le week-end prochain ou le suivant pour les autres) avec des mesures de sécurité renforcées.”
La fête va repartir, les autorités le savent et donnent déjà des consignes : filtrages, fouilles des sacs à l’entrée, palpations, augmentation des effectifs de vigiles et videurs, maîtres-chiens, installation de portiques et usage de détecteurs, etc. En revanche, on fera moins la queue : il n’est pas recommandé de laisser le public agglutiné dehors – trop anxiogène. Philippe Monthaye, le DA de Chez Moune, est optimiste : “Après Charlie, il a fallu quelques jours, mais on a vu la fréquentation reprendre avec une augmentation de 30 %. Les gens avaient besoin de décompresser.”
Les nouveaux codes s’inspirent de la tendance “portes ouvertes” qu’on a vu naître pendant les attentats : l’esprit est à la fête-communion, œcuménique. Certains militent même pour un jour férié dédié “à la culture et à la fête” le 13 novembre par le biais d’une pétition. Il ne s’agit de brandir notre mode de vie comme étendard dans un peuso “choc des civilisations”, ni d’exclure ceux et celles qui ne boivent pas d’alcool ou préfèrent le rap au rock. Il s’agit de trouver une autre réponse que celle du gouvernement ; les politiques institutionnels (du FN au PS en passant par les Républicains) martèlent qu’il faut rester “fermes”, la génération Bataclan rétorque qu’il faut tout laisser ouvert. Les bars et les frontières.
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