Yumi Ishikawa, actrice et mannequin japonaise, a lancé en janvier dernier le hashtag #Kutoo, contraction de chaussures (kutsu) et de douloureux (kutsuu) en japonais et référence au mouvement #Metoo. Elle dénonce l’obligation sexiste qui lui impose de porter des chaussures à talons au travail.
“Au Japon, de nombreuses femmes sont obligées de porter des chaussures à talons pour aller travailler, on dit que cela fait partie de ‘l’éthique’ de l’entreprise. C’est une question de bonne manière, de politesse vis-à-vis des autres salariés. Celles qui travaillent dans les métiers de service doivent également, en plus du port de talons, se maquiller. Allons-nous faire perdurer encore longtemps ces pratiques sexistes encore très tenaces sur le lieu de travail japonais ?” s’indigne Yumi Ishikawa, actrice et mannequin japonaise.
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« Des femmes ont changé de travail à cause de cette règle »
La jeune femme ne pensait pas que le tweet, qu’elle a diffusé en janvier dernier, allait prendre une telle ampleur et soulever un tel mouvement. Repris plus de 30 000 fois et aimé à plus de 68 000 reprises, son appel a multiplié les témoignages de nombreuses Japonaises, épuisées de devoir porter des chaussures à hauts talons quotidiennement, durant leurs heures de service. “Nous n’en pouvons plus, insiste-t-elle. La tenue vestimentaire exigée par le règlement de certaines entreprises japonaises ne devrait pas entraîner un tel inconfort : il y a des femmes qui ont changé de travail à cause de cette règle et parce que les talons qu’elles sont obligées de porter leur faisaient trop mal aux pieds et au dos.”
Yumi Ishikawa sait de quoi elle parle. La torture de la chaussure à hauts talons obligatoires, elle la connaît bien. En avril 2018, alors qu’elle commence un nouvel emploi à temps partiel, son entreprise lui précise que le port de talons hauts durant ses heures de service est obligatoire. Et ce matin-là du mois de janvier, elle n’en peut tout simplement plus. Les pieds endoloris, elle a décidé de dire stop. “Je me suis dit que c’était trop et que je ne devais pas être la seule à ressentir cela comme une injustice et une injonction sexiste : d’autres femmes devaient forcément être dans la même situation de ras-le-bol que moi.”
Discrimination sexuelle
Et puis surtout, elle se souvient qu’elle a déjà connu une situation de ce type auparavant, que cette obligation n’est pas une exception. “Lorsque j’avais 18 ans, je travaillais à temps partiel dans le salon d’un hôtel et je devais porter des chaussures à talons hauts toute la journée. J’avais été très surprise par ces contraintes, mais à l’époque, je pensais que cela faisait partie des bonnes manières féminines. J’ai accepté la situation. Puis au fur et à mesure des années, il m’a semblé que le problème était d’un autre ordre : celui de la discrimination sexuelle.”
Elle ajoute : “L’éthique d’entreprise japonaise repose sur le principe que cela fait partie de la bonne éducation des femmes de porter des chaussures à talons hauts et des tenues très féminines : les femmes doivent être belles, porter des vêtements qui les mettent en valeur.” Les hommes, si on ne les force pas à porter des chaussures à talons ne sont pas forcément mieux lotis. En effet, les employés de bureau sont obligés de porter chemises, cravates et tailleurs au bureau, et ce même pendant les grandes chaleurs de l’été japonais. Face à la recrudescence de malaises et l’inconfort des employés, Yuriko Koike, actuelle gouverneure de Tokyo et ancienne ministre de l’environnement, avait alors initié la campagne Cool Biz en 2005 pour que ces salariés en nage soient libérés de cette obligation et puissent enfin laisser tomber la veste.
« Je ne vois pas ce qu’il y a d’impoli à porter des chaussures plates »
Nombreux sont ceux qui ont eu du mal à se résoudre à ôter la cravate mais de manière générale, l’initiative a été très bien reçue et a entraîné un accueil favorable qui a eu des retombées positives au fil du temps. La campagne Cool Biz a également permis de diminuer l’importante consommation d’électricité générée par l’utilisation outrancière de l’air climatisée par les employés de bureau qui avaient trop chaud, du fait de leur tenue non-adaptée au climat.
Avec son action, Yumi Ishikawa espère “attirer l’attention du ministère japonais de la Santé, du Travail et du Bien-être afin que l’obligation des chaussures à talons hauts soit elle aussi révisée, voir supprimée”. La pétition qu’elle a publiée sur le site change.org a d’ores et déjà recueilli 17 500 signatures. “Je ne vois pas ce qu’il y a d’impoli à porter des chaussures plates pour aller au travail lorsque l’on est une femme. Chacune devrait pouvoir s’habiller comme elle en a envie et sans se soucier du regard des autres. J’ai envie d’aider ces Japonaises qui travaillent et sont courageuses : la beauté d’une femme ne devrait pas être réduite à son apparence physique ou à l’image qu’elle renvoie en société.”
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