Ce soir, le débat entre les six candidats à la primaire socialiste va grignoter un peu plus le temps de parole de l’opposition, déjà bien entamé après l’affaire DSK. Comptes minutieux, équilibre difficile à tenir, le pluralisme imposé par le CSA débouche souvent sur des situations absurdes.
« C’est la fin d’une épreuve terrible et injuste… » Dominique Strauss-Kahn pourra dire ce qu’il veut aux Français, ses interventions seront comptabilisées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le temps de parole du Parti socialiste. Même s’il entreprend de raconter par le menu ce qui s’est passé dans la chambre 2806, c’est le chronomètre du PS qui se mettra en marche.
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La règle du pluralisme est simple (au moins au début) : dès qu’un homme politique ouvre la bouche, son temps à l’antenne est mesuré. « Hors période électorale, seules sont décomptées les personnes ayant une carte à tel ou tel parti », précise Stéphanie Brun, à la communication du CSA. Carla Bruni qui, interviewée dans Sept à Huit, chante les louanges de son mari et persifle « vous avez compris l’épilogue de l’affaire DSK ? pas moi » n’est, par exemple, pas comptée.
Le CSA remet régulièrement à jour sa liste des personnalités dont le temps de parole doit être pris en compte. Kouchner et Hirsch (dont le temps de parole était compté avec celui du gouvernement) en sont sortis. Les interventions de Borloo sont encore calculées dans la majorité parlementaire. « Pour l’instant Gilbert Collard n’est pas décompté, il n’a pas de carte du Front national », note Christine Kelly, la sage du CSA qui a hérité du dossier pluralisme en début d’année à l’occasion du renouvellement des membres du Conseil.
Et ça se complique. Si le premier métier de la personnalité intervenant n’est pas la politique, seuls ses propos politiques comptent. Par exemple, le temps de parole de Philippe Torreton, comédien et ancien conseiller municipal, n’est pas rajouté dans la colonne du PS s’il parle théâtre.
Qu’il soit question du beau temps ou de DSK, tout compte
Pour ceux dont la politique est le premier métier, tout compte « dès qu’ils ouvrent la bouche ». Daniel Cohn-Bendit qui s’enflamme pour le Barça ? Bingo pour Europe Ecologie Les Verts ! Frédéric Mitterrand invité d’Un dîner presque parfait ? Temps de parole du gouvernement. Dominique de Villepin qui assassine Sarkozy ? C’est la majorité (l’UMP) qui a parlé. Le politique encarté « peut parler du beau temps, des niches fiscales, des cachalots, ou de DSK, il est décompté », résume Christine Kelly. En l’occurrence, c’est plutôt quand il parle de DSK que des cachalots que cela fait débat.
Depuis le mois de mai, l’affaire du Sofitel parasite le temps de parole du PS. « C’est un sujet qui nous a été imposé, on n’était pas dans le cadre du débat démocratique », regrette François Lamy, conseiller de Martine Aubry.
« Le PS devrait refuser ça, c’est absurde ! », s’étonne encore Jean-Pierre Mignard, l’avocat PS chargé de veiller au déroulement de la primaire. « Le temps de parole des partis politiques devrait être celui qui est consacré à une opinion, à l’expression d’un projet ou d’un programme, pas d’une affaire judiciaire de nature privée ! »
Même Thierry Thuillier, le patron de l’info de France Télévisions considère que « ça fait partie des cas limites ». Parce que « Le Guen, Valls, Cambadélis et compagnie n’ont pas exprimé d’opinion politique. Ce sont des personnalités, certes socialistes, mais aussi des amis qui viennent parler à titre personnel. Comptabiliser ça dans le temps des socialistes, je m’interroge… » Mais que faire d’autre ? « L’évacuer serait bizarre », concède un autre responsable de chaîne.
Les compteurs du PS explosés par l’affaire DSK
A droite, Eric Raoult s’est en tout cas assuré qu’on ne l’évacuerait pas. Le 27 mai, dans un courrier adressé au président du CSA, le député UMP s’est plaint d’un « déferlement d’orateurs et d’intervenants socialistes » et d’émissions interviewant « systématiquement des membres du Parti socialiste » et a demandé au Conseil de comptabiliser leurs interventions. La saisine frisait la mauvaise foi puisque, reconnaît Raoult, consigne avait été donnée dans la majorité de ne pas intervenir sur le sujet (« on avait reçu l’instruction de ne pas en parler »).
L’opposition parlementaire doit bénéficier d’au moins la moitié du temps d’intervention cumulé du président de la République quand il intervient dans le cadre du débat national (par exemple sur les retraites, mais pas sur la Libye) et de la majorité. Et comme dirait Michel Polacco, qui suit les compte de Radio France, « il va y avoir des difficultés à tenir les équilibres au deuxième trimestre ». L’affaire DSK a fait exploser les compteurs du temps de parole du PS. Plusieurs médias ont, comme France Info, rendu leurs comptes trimestriels accompagnés d’un mot expliquant le déséquilibre (les décomptes du deuxième trimestre seront publiés sur le site du CSA à la fin du mois).
Aux troisième et quatrième trimestres, la situation ne risque pas d’être plus régulière : arrive la primaire PS. Avec le même sentiment d’injustice à gauche. Même s’il s’agit d’une bagarre entre socialistes, toute parole est à verser dans le pot commun.
France 2 compensera le débat socialiste en invitant Alain Juppé
Le 8 septembre, le premier secrétaire du PS par intérim Harlem Désir et le député Patrick Bloche sont allés rencontrer Christine Kelly et Francine Mariani-Ducray au CSA pour s’ouvrir de leurs inquiétudes. « Il ne faudrait pas qu’à l’issue du choix de notre candidat le 16 octobre, ce temps de parole (du PS) ait été épuisé », résume Bloche, sorti vaguement rassuré de l’entretien. « Le rééquilibrage pourra se faire facilement entre le 16 octobre et fin décembre, l’opposition pourra s’exprimer » (les comptes des journaux d’information doivent être équilibrés par trimestre, ceux des magazines d’info et des programmes par semestre).
Dans les télés et les radios, on veille. A Canal+, on a passé des consignes pour que la droite ne soit pas oubliée malgré l’actualité à gauche. Sur France 5, Géraldine Muhlmann a renoncé à inviter Manuel Valls pour la première de C Politique (l’émission a finalement décidé de convier les trois premiers candidats dans les sondages).
« A l’exception de Baylet, on a invité tous les socialistes au 20 heures, on s’en tiendra là jusqu’à fin septembre », assure Thierry Thuillier à France Télévisions, qui a prévu sur France 2 une émission de prime-time, le 15 septembre, où les six candidats de la primaire PS s’exprimeront. Pour compenser, la chaîne a calé, pour le 29 septembre, une émission spéciale, Des paroles et des actes, avec Alain Juppé.
« Le plus simple est de ne pas inviter »
Pour éviter les casse-tête de rééquilibrage, le groupe souhaitait qu’il n’y ait plus d’invités politiques dans les programmes (les compte du CSA distinguent les catégories journaux, magazines d’info et programmes). L’invitation de Martine Aubry chez Laurent Ruquier (On n’est pas couché) a rendu dingue à France Télévisions. Comment rééquilibrer 1h10 de temps de parole PS dans la catégorie « programmes » (le canapé de Drucker ne permet pas d’inviter tous azimuts) ! On arrive facilement à des situations absurdes. Christine Kelly se souvient que lorsque Nicolas Hulot s’était déclaré candidat, « on avait été obligé de dire à Ushuaïa TV qu’il faudrait qu’ils compensent le temps de parole ».
Ces soucis arithmétiques en laissent plus d’un perplexe. Tous les temps d’antenne ne se valent pas. « Etre quelques minutes l’invité de Bruce Toussaint à 7h45, c’est un million et demi d’auditeurs. C’est bien plus intéressant qu’être l’invité d’Elkabbach le dimanche matin pendant une heure », fait remarquer un journaliste d’Europe 1.
Le CSA s’est fabriqué une infrastructure pour veiller à tout cela, mais s’appuie d’abord sur du déclaratif des médias. D’une chaîne à l’autre, d’une radio à l’autre, on passe de grosses usines à gaz à des tableaux remplis au doigt mouillé. Radio France fait appel à Yacast, un institut spécialisé dans la veille des médias, où six personnes travaillent à tout écouter et chronométrer. Un magazine d’info inviterait bien Gérard Larcher. Il lui est répondu qu’il faudra prévoir un représentant de l’opposition des Yvelines puisqu’on est en période sénatoriale.
C’est tout le paradoxe de ces règles destinées à préserver la qualité du débat démocratique, ironise Thierry Thuillier à France Télévisions, « moins on fait de politique, mieux on se porte. Le plus simple est de ne pas inviter pour ne pas risquer de mordre la ligne jaune ».
Guillemette Faure
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