Sur Arte, le retour attendu d’une série forcément fondatrice, qui décrypte l’écriture architecturale depuis 1996, la bien nommée “Architectures”.
La suite de la série Architectures, amorcée sur Arte en 1996, selon le modèle des remarquables Palettes d’Alain Jaubert sur la peinture, arrive cette semaine. Si, en analysant toutes sortes d’œuvres architecturales, l’émission suit un canevas assez rigoureux et présente un schéma récurrent – même type de filmage, de commentaire et d’approche – pour chaque édifice étudié, son intérêt tient non seulement à la variété des sujets choisis, mais aussi à leur grande diversité historico-géographique.
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Et si dans chaque épisode, commenté par la voix claire, froide et prenante du comédien François Marthouret, on retrouve la séquence des maquettes, en dur ou/et en virtuel, détaillant les éléments marquants d’un bâtiment – et ponctuant chaque ajout de partie d’un “ploc” caractéristique –, l’ambiance peut changer du tout au tout selon les œuvres étudiées.
D’hier et d’aujourd’hui
Dans la nouvelle fournée, par exemple, l’usine Van Nelle de Rotterdam (1925-1931), destinée au traitement du café, du thé et du tabac, conçue par Leendert van der Vlugt et Jan Brinkman dans le style dit ”international” – manifestation du modernisme fonctionnel du début du XXe siècle (illustré par Frank Lloyd Wright ou le Bauhaus) –, est un superbe paquebot de verre, mais on baigne dans la froideur.
En revanche, pour l’épisode précédent (6 septembre) sur la Maison Unal (1973-1990) de l’architecte Claude Haüsermann-Costy, c’est le contraire. Cette maison-bulle sans aucune ligne droite, assemblage de modules blancs entièrement bâti par Joël Unal, son occupant, et qui tient du cocon et du nid, donne envie de s’y lover. L’avantage de ces constructions récentes, c’est que leurs utilisateurs sont encore là pour commenter leur expérience. Leur témoignage agrémente l’analyse.
Le contraire absolu d’un mausolée moghol du XVIIe siècle, celui d’Itimad-ud-Daula, à la symétrie implacable. Il a été construit à Agra, en Inde, pour abriter la dépouille du père de l’impératrice moghole Nur Jahan, à l’instar du célébrissime Taj Mahal, édifié dans la même ville (pour la nièce de Nur Jahan).
Plus sobre encore que le Taj dont il fut le modèle, le mausolée commandité par Nur Jahan est une épure géométrique. Son abstraction est accentuée par son anonymat. On ne semble pas en connaître l’architecte. Cela renforce l’immatérialité du monument funéraire recélant de tombeaux factices (cénotaphes), et laisse d’autant plus de place à la déambulation dans ce lieu respirant la sobriété et la sérénité.
Punk et puritain
C’est l’occasion d’une correspondance saisissante avec l’épisode précédent sur la Fondation Vuitton de Frank Gehry, œuvre d’apparence chaotique, et a priori antithèse absolue du monument indien du XVIIe siècle. A propos du mausolée, la voix off dit que “circuler dans le bâtiment c’est faire l’expérience entre lumière et pénombre”. Ceci grâce aux claustras de marbre remplaçant des fenêtres.
A quoi fait écho le commentaire sur le bateau ivre de Gehry, disant que, “au cours de sa déambulation, le visiteur alterne lumière et pénombre”. Autrement dit, un vieux punk comme Gehry a en commun avec les concepteurs puritains du vieux palais indien le même souci, à des siècles de distance : louvoyer avec la lumière, la distribuer subtilement, rendre la clarté diffuse.
Passé et présent, sacré et profane
Une preuve que cette série permet des rapprochements inattendus entre passé et présent, sacré et profane. Ceci faisant la démonstration, à ceux qui n’y croiraient pas, des vertus de l’éclectisme ; en court-circuitant les hiérarchies et la chronologie, on fait apparaître des lois supérieures et immuables. Evidemment, l’essentiel reste bien sûr l’intérêt et la singularité de chaque œuvre.
Dans Architectures, on tente de voir non seulement comment elle est fabriquée, mais à quels besoins et utilisations elle correspond. Ceci sans oublier qu’une autre des lois non écrites est que les chefs-d’œuvre sont rarement utilitaires et que, si leur beauté n’est pas gratuite, elle est due à des effets de signature et à de purs gestes artistiques.
Conserver la mémoire et la beauté
Ainsi, les grandes voiles de verre qui enveloppent la Fondation Vuitton sont des coquilles ornementales. Idem pour les marqueteries de fleurs en pierre tapissant le mausolée moghol. Exemple encore plus flagrant : la Glasgow School of Art de Charles Rennie Mackintosh, fleuron de l’art nouveau édifié entre 1897 et 1909.
L’architecte accumule des éléments sans réelle fonction (balustrades, piliers), visant à l’effet décoratif, à l’impression théâtrale que cela produit sur le spectateur. C’est particulièrement éclatant dans la bibliothèque de l’établissement aux sombres piliers et faux plafonds de bois contrastant avec les ateliers de peinture immaculés. Malheureusement, cette bibliothèque, ainsi qu’une partie du bâtiment, a été réduite en cendres par un incendie en mai 2014.
Le documentaire, tourné et certainement achevé avant le sinistre, ne fait aucune mention de l’événement. Cela rend les images d’autant plus précieuses. Elles deviennent dès lors la trace historique de l’œuvre, le témoignage précis de sa splendeur. Voilà donc une autre des qualités du travail filmique de l’équipe de Neumann et Copans : conserver la mémoire et la beauté.
Architectures série documentaire de Richard Copans et Stan Neumann. Chaque dimanche, du 30 août au 25 octobre, 12 h, Arte
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