Marwan Mohammed est originaire du quartier des Hautes-Noues de Villiers-sur-Marne. Ce sociologue travaille depuis des années sur la déviance des jeunes de sa cité.
Selon vous, le public des bandes serait passé des « blousons noirs » aux « Noirs en blouson ».
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Marwan Mohammed – Les blousons noirs ont été un mythe médiatique très fort: « ces bandes d’ouvriers hyperviolents qui nous envahissent… » La réalité était différente. Aujourd’hui, les jeunes Noirs incarnent la dangerosité des bandes. Localement, on peut observer une telle surreprésentation. Dans mon terrain d’enquête, les bandes ont été majoritairement blanches, maghrébines puis noires, tout en restant mixtes dans leur composition. Ce qui change peu, c’est qu’elles touchent plutôt des jeunes issus de grandes fratries, de milieu modeste, en échec scolaire et qui vivent dans un environnement très porté sur la délinquance. Donc au-delà de la punchline, je pointe le raccourci des discours publics et de certaines analyses par rapport à la prédominance des origines.
Vous dites tout de même qu’il y a une majorité de Noirs dans les bandes de votre cité.
La ressemblance ethnoraciale des bandes que j’ai observées reflète avant tout des mécanismes économiques, familiaux, scolaires et urbains assez classiques. Malgré le climat idéologique actuel, qui incite à tout percevoir par la culture ou la couleur, l’origine n’est pas le facteur le plus pertinent à prendre en compte, à l’inverse, par exemple, de l’expérience scolaire et de la taille des familles. Pour le reste, je ne me ronge pas de culpabilité quand je travaille sur ces sujets. Mon seul souci, c’est d’observer, d’analyser et de bien restituer. Si certains passages ont été compliqués à écrire, c’est que je percevais très bien comment on pouvait instrumentaliser mon propos.
L’image que les médias donnent des bandes serait partielle ?
Oui. Sans nier que la société, les quartiers populaires et le monde des bandes se sont transformés ces dernières décennies, de nombreuses rédactions raisonnent en termes de dérives. J’en vois pour ma part l’origine dans le recrutement social des journalistes, les priorités rédactionnelles et politiques, les contraintes économiques de la presse, le temps disponible pour construire les sujets et la place croissante qu’occupent les faits divers. Bien sûr, certains journalistes font du travail de qualité.
Que penser du jeune qui, avant d’affronter les policiers, vous assure tout sourire qu’il sera dans l’édition du Parisien du lendemain ?
Ce n’est pas un constat quotidien, mais cet exemple renvoie aux enjeux de réputation et aux usages possibles de la presse locale. Les bandes critiquent les articles sur les faits divers dans les pages locales du Parisien mais elles les lisent avec attention. Et pour faire venir la presse locale, on s’en prend aux forces de l’ordre. C’est une forme d’instrumentalisation.
Pourquoi utilisez-vous une phraséologie de la consommation pour signifier que les bandes apportent des réponses en « pack »ou en « forfait » à leurs jeunes membres ?
L’idée de pack sert juste de métaphore : on préfère les offres tout compris aux offres partielles. De là, la force des bandes. A un moment critique du parcours des jeunes, elles répondent à de nombreux besoins sociaux tels que la consommation, la reconnaissance, la construction identitaire ou la gestion d’une certaine conflictualité entre social et politique. Et c’est ce qui fait la faiblesse de l’école ou des familles : elles ne peuvent apporter que des réponses partielles. Mon analyse en termes de compensation sociale permet de comprendre des engagements qui, de prime abord, paraissent aberrants, irrationnels, avec en bout de course des issues peu attrayantes, souvent la prison… Telle est l’idée centrale de mon livre : on ne peut pas réduire la bande à une réponse utilitaire (vols ou petits trafics). Je pense même que les réponses symboliques priment.
Vous semblez parfois hésiter à qualifier de « politique » cette compensation sociale des bandes…
Il y a une ambiguïté à parler de « politique » pour des comportements qui, à première vue, relèvent de la petite délinquance. J’ai essayé de montrer que derrière la communication publique des bandes – qui ne se fait pas au hasard – il existe une vision du monde. Ces actes, ces déviances ou ces délits cachent d’autres significations. Evidemment, un téléphone portable arraché a une finalité matérielle bien établie. Mais sur vingt téléphones volés, quand on regarde le profil des cibles, on se demande pourquoi ces gens-là, et pourquoi dans ce contexte-là. Idem pour la participation active des bandes aux émeutes, ou leur attitude lors de grandes manifestations parisiennes, notamment celles des lycéens. Pour moi, il y a un rapport avec l’ordre social, les institutions, la chose et les discours publics, donc le politique.
Les Blancs seraient des cibles privilégiées ?
Pas des cibles privilégiées mais des cibles parfois désignées comme telles chez un petit nombre de jeunes de bandes pour qui l’attitude, la position sociale imaginée et la couleur de peau ne font qu’un. Mais c’est assez récent. Ça fait plus de dix ans que je sonde ces questions-là et j’ai vu peu à peu le mot « Blanc » monter en puissance en tant que catégorie pertinente de désignation. C’est le contrecoup de la progression de la ségrégation ethnoraciale. C’est aussi une conséquence de l’ethnicisation des discours politiques qui visent, de manière assez radicale, les bandes et leur public. Mais tout cela demeure très ambigu : au fond, le Blanc du quartier n’est pas blanc, ou moins blanc que le bourgeois, qui est plus blanc que blanc. L’antagonisme de classe reste très fort.
Ce n’est donc pas une nouvelle forme de racisme ?
Pour une extrême minorité, cela peut prendre la forme d’une croyance raciste. Mais quand vous avez des jeunes qui vous disent « on ne visait que des Blancs dans le train » et que dans la bande en question il y a des Blancs, ça devient plus complexe. Surtout lorsque l’auteur des propos est en couple avec une Blanche… La frontière entre le « bourge » et le « Blanc » semble très fine.
L’école, notamment le collège, entrerait selon vous dans une logique contreproductive de réprimande de l’élève et des parents ? Je pense à l’exemple de Malko dans votre livre.
Tout d’abord, on ne peut réduire l’action institutionnelle à cet exemple. A la suite d’un incident, l’institution scolaire a amené Malko à choisir entre elle et la rue. Il y avait selon moi différentes alternatives et, dans son cas, le prix d’un reniement de la rue était trop élevé. Un autre exemple du livre illustre comment l’image institutionnelle du « parent démissionnaire » peut se construire. Elle se joue en partie lors des interactions au sein de l’institution scolaire. Ces courts moments (rendez-vous, convocations) ne permettent pas de juger de l’ensemble du travail éducatif des parents dans la sphère familiale. Pourtant ils vont être décisifs, car lorsque le verdict institutionnel tombe, il bouge difficilement.
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