Pour s’élever contre “l’assassinat politique” dont il s’estime victime, François Fillon a appelé à un rassemblement au Trocadéro le 5 mars. Nous nous sommes mêlés à une foule plutôt âgée et représentant la frange la plus réactionnaire des Républicains.
Dans la ligne 9 du métro parisien, bondée, un homme s’adresse à sa voisine, qu’il ne connaît vraisemblablement pas. “Vous y allez, vous aussi ? – Oui ! – Vous venez d’où ? – Du Sud-Ouest. – Ah, donc vous tuez du canard, ha, ha !”
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La moyenne d’âge des passagers, haute, et les capuches antipluie ne laissent que peu de place au doute : ces gens se rendent au rassemblement de soutien à François Fillon place du Trocadéro, nouvel acte de l’affaire des emplois présumés fictifs qui ébranle le candidat de la droite et du centre depuis les révélations du Canard enchaîné, il y a un mois.
A l’heure où il est distancé dans les sondages et où ses soutiens le lâchent les uns après les autres, notamment son directeur de campagne, Patrick Stefanini, ou encore l’un de ses porte-parole, Thierry Solère, également organisateur de la primaire, le candidat veut “tenir bon”.
Contre les juges et les médias
Comprendre : essayer, via ce “grand rassemblement populaire”, d’abord présenté sur le site de Valeurs actuelles comme une “marche contre le coup d’Etat des juges (…) qui confisquent l’élection présidentielle”, d’obtenir le soutien de la rue afin de légitimer sa candidature, malgré sa convocation le 15 mars par les juges d’instruction en vue d’une mise en examen.
Car François Fillon ne cesse de crier au complot, à “l’assassinat politique”, à “la chasse à l’homme” depuis le début de la polémique, estimant que le calendrier judiciaire serait instrumentalisé, avec l’appui des méchants médias, pour qu’il ne puisse pas se présenter.
Lors d’une conférence de presse mercredi, il avait ainsi affirmé : “C’est au peuple français que j’en appelle désormais. Seul le suffrage universel peut décider qui sera le prochain président de la République. Je ne cèderai pas, je ne me rendrai pas, je ne me retirerai pas, j’irai jusqu’au bout !”
Délire des chiffres
Pour ce faire, il lui fallait tout de même un minimum de gens place du Trocadéro, là où un certain Nicolas Sarkozy avait organisé un rassemblement d’entre-deux tours, en mai 2012, et où il avait affirmé avec beaucoup d’aplomb qu’il y avait “200 000 personnes” – la place ne pouvant objectivement contenir que quelque 45 000 individus.
Bruno Retailleau, coordinateur de la campagne de Fillon, n’a pourtant pas manqué, lui aussi, de gonfler les résultats de participation, allant jusqu’à revendiquer “300 000 personnes”, un chiffre d’environ 35 000 semblant être tout de même plus raisonnable. Qu’importe : grâce aux drapeaux français distribués à tous les participants, l’effet masse est garanti (on apercevra aussi un drapeau Jeanne d’Arc).
Il est environ 14 h 30 et la place se remplit peu à peu. L’allocution du grand manitou est prévue une heure plus tard. A cause de la pluie incessante, les gens ont les pieds dans la boue – “c’est pas des drapeaux qu’ils auraient dû nous donner, mais des bottes !”, dit une dame pleine de bon sens. Mais pas de quoi atténuer l’enthousiasme des manifestants, galvanisés dès qu’un proche de Fillon monte à la tribune.
Les participants sont des personnes plutôt âgées, des citoyens globalement aisés, leurs vêtements et surtout les marques de leurs parapluies mettant en avant leur niveau de vie : Montblanc, Fouquet’s…
“système médiatique” persona non grata
On croise un vieux monsieur, on se présente, lui demande si on peut lui poser quelques questions. “Non. Votre magazine appartient à Pierre Bergé, et puis ras le bol de votre système bobo-gaucho.” Le propriétaire des Inrocks est Matthieu Pigasse, mais c’est du pareil au même : ici, le prétendu “système médiatique” est persona non grata.
L’autoproclamée “première chaîne de réinformation de France”, TV Libertés, a d’ailleurs fait le déplacement pour couvrir l’événement, tandis que des sites gravitant autour de la fachosphère sont évoqués dans la foule. Nancy, Parisienne de 72 ans, écrit pour dreuz.info, un blog le plus souvent considéré comme proche de l’extrême droite.
Son propre camp veut faire un coup d’Etat. Mais Fillon va continuer ! Nancy, 72 ans
Elle avance trois raisons à sa présence cet après-midi : “Premièrement, je trouve cela absolument anormal qu’on l’accuse de choses pour lesquelles il n’a pas encore été condamné. Deuxièmement, ce qu’il a éventuellement fait n’est pas illégal… Ou alors il faudrait mettre toute la classe politique en examen ! Enfin, je trouve cela dégueulasse que ses soutiens le lâchent. Son propre camp veut faire un coup d’Etat. Mais Fillon va continuer !” Et d’ajouter que “la gauche est une pourriture” et qu’en cas de retrait de son candidat, elle n’hésitera pas : “A ce moment-là, je voterai Marine Le Pen.”
Même constat du côté de Pierre-Marie et Daniel, 70 ans tous les deux, leurs crânes chauves protégés de casquettes gavroche. “On ne va pas tergiverser : on ne veut plus de la gauche, dit le premier. Et on considère que Macron est de gauche. Si jamais Fillon se retire, on votera malheureusement FN.” Ils ont fait la route depuis Reims pour venir écouter leur candidat, “légitime parce qu’il a gagné la primaire”.
René-Louis, retraité du privé âgé de 67 ans au bel imperméable, ne s’imagine pas voter pour quelqu’un d’autre que Fillon, qu’il soutiendra “jusqu’au bout” : “Je suis là pour la liberté. Comme par hasard, tous les hommes et femmes de droite, de Macron à Le Pen, sont attaqués pour des raisons insignifiantes.” Et d’ajouter un mesuré : “Nous sommes attaqués par un régime marxiste-léniniste.”
Manif pour tous et Sens commun à la manœuvre
Les manifestants redoublent en tout cas d’invention pour afficher leur soutien. Sibylle, ancienne professeure de 67 ans, tient dans ses mains une feuille avec les paroles d’une adaptation de La Marseillaise, renommée pour l’occasion “La Trocadérienne”. Pour elle, Fillon est “le seul à avoir un programme convaincant”.
Militante de la Manif pour tous et membre des Mères-veilleuses, une extension du mouvement, elle estime que “c’est la démocratie qui est en jeu”. Sens commun, une autre émanation de la mouvance de Frigide Barjot – d’ailleurs présente à l’événement –, aurait participé à l’organisation du rassemblement du jour.
Quelques jeunes en renfort
On aperçoit aussi quelques jeunes de-ci, de-là. Parmi eux, Quitterie, 20 ans, étudiante en droit à Assas. Agrippée fermement à son drapeau français, elle affirme être venue “à cause de l’acharnement médiatique subi par François Fillon : sa présomption d’innocence est totalement bafouée par les journalistes. Je ne vois pas pourquoi il devrait se retirer”.
C’est la première personne que l’on rencontre qui pense “voter Juppé, s’il devient le plan B”. Le maire de Bordeaux n’est pas apprécié dans les rangs, critiqué pour “son âge avancé” et le fait qu’il ne soit pas “assez solide” (il a depuis annoncé qu’il ne serait pas candidat).
Même si je vote FN, je trouve ça dégoûtant ce qui arrive à Fillon. Henri, 22 ans
Au côté de Quitterie, Henri, 22 ans, étudiant en droit à la Sorbonne. Même s’il est lepéniste, il a tenu à être là : “Je ne suis pas venu pour supporter le candidat Fillon mais pour dénoncer l’instrumentalisation judiciaire contre lui et Marine Le Pen (elle aussi été convoquée en vue d’une possible mise en examen pour une affaire d’emplois fictifs – ndlr).
Même si je vote FN, je trouve ça dégoûtant ce qui arrive à Fillon. Il arriverait la même chose à Macron, je viendrais aussi.” Ferait-il de même pour Mélenchon, par exemple ? “Euh, c’est pas pareil, et puis je pense que ça n’arriverait pas car cette instrumentalisation judiciaire est le fait de la majorité.”
Réapparition de Penelope
La majorité en prend encore pour son grade quand arrive le discours de Fillon. Le candidat, sur la fin accompagné de sa femme Penelope, présente une nouvelle fois ses “excuses” à la foule, avant d’interpeller son propre camp : “Je veux m’adresser aux responsables politiques de la droite et du centre. Mon examen de conscience, je l’ai fait. Il vous revient maintenant de faire le vôtre !” La pluie revient, il est acclamé aux cris de “Fillon président !”
Un retrait semble inenvisageable, comme il le confirmera le soir même au JT de France 2. La foule quitte rapidement la place, dont Bernadette, 69 ans, venue de Montluçon. Elle arbore sous son K-Way transparent et sur son dos une grande affiche du livre de Fillon, Faire. On lui demande si elle l’a lu. “Pas encore.” Sur le sol, un bouchon de champagne traîne. Peut-être, qu’un peu plus tôt, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron sont passés par là.
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