Organisé du 4 au 8 septembre près de Bruxelles, le “Climate Justice Camp” a accueilli chaque jour entre 150 et 200 personnes issues d’horizons divers. L’idée : se rencontrer, échanger, débattre ou encore dénoncer les “systèmes d’oppression” pour essayer de tendre vers une convergence des luttes sociales, lesquelles sont nécessaires à la justice climatique.
Sur la route qui sillonne entre les champs de maïs, les petites tentes apparaissent en premier, comme des champignons multicolores. Puis l’on discerne les chapiteaux rayés, les vélos entassés à l’entrée, et enfin la banderole “Climate Justice Camp”. Alors que se multiplient les manifestations dénonçant l’inactivité des pouvoirs publics face à l’urgence climatique, quelques centaines d’activistes francophones, anglophones et néerlandophones se sont donné rendez-vous du 4 au 8 septembre dans la campagne flamande de Gooik, à quarante kilomètres au sud-ouest de Bruxelles (Belgique).
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A la clé, pas d’action directe ou de marche pour le climat, mais un espace voulu comme un point de rencontre par des personnes issues de divers horizons – écologistes, mais aussi féministes, personnes des communautés LGBT +, sans-papiers, personnes racisées, agriculteurs, gilets jaunes… L’occasion de réfléchir à une définition de la justice climatique, et à ce que celle-ci implique pour le mouvement naissant.
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“[Nous pensons] que la problématique de la justice climatique est étroitement liée au capitalisme et à d’autres systèmes d’oppression qui sont à la base du changement climatique, et sont renforcés par ce dernier”, clament dans un communiqué les organisateurs et organisatrices du “Climate Justice Camp”. Les systèmes d’oppression en question : « Le patriarcat, le racisme et le colonialisme, la cis hétéronormativité, le classisme, le validisme, le spécisme… »
Des espaces “safe” et en non-mixité
Initiative citoyenne lancée au milieu des multiples appels à la mobilisation qui ont fleuri ces derniers mois dans la société civile en Europe, ce camp belge à la jonction des mouvements écologiques et sociaux espère lancer un “dialogue sincère” entre différents collectifs ne jouissant pas tous du même retentissement médiatique. Le but : tendre vers une convergence des luttes sociales, sans lesquelles ne peut exister de justice climatique.
“On veut valoriser tout le monde à la même échelle,” explique Ibis, l’une des organisatrices. L’accent a été mis sur l’inclusivité : des espaces “safe” et en non-mixité ont été installés, et une “awareness team” est disponible “pour protéger les communautés contre les agressions et les comportements oppressifs”. Les trois hectares du campement accueillent entre 150 et 250 personnes par jour, issues de communautés diverses.
Afin de n’oublier personne, chaque débat est traduit en français, anglais ou néerlandais, le camp dispose d’un bar sans alcool ainsi que d’une garderie, et le réfectoire ne sert que des plats vegan. Une compensation financière est prévue pour ceux pour qui la venue au camp “peut être un sacrifice”. “Il faut prendre le temps de se défaire de ses idées, d’apprendre à se déconstruire”, sourit Ibis. Le tout dans une ambiance “bisounours”, ajoute-t-elle.
Du maquillage pailleté, datant de la soirée de la veille, trace des rayons de soleil autour de ses yeux. Plantée dans sa salopette rouge et ses grandes bottes en caoutchouc, elle semble prête pour le festival Glastonbury. Mais, au lieu d’une liste de concerts, c’est un emploi du temps (très) chargé qu’elle détaille : débat sur l’écologie queer, cours de boxe en non-mixité, atelier antipub, point information consacré à “la communauté trans pour les nul.les”, présentations sur l’écologie radicale, l’agriculture durable et les rapports de domination dans les luttes antinucléaires, atelier sur la répression en manifestation, débat avec des sans-papiers…
“Comment on se défend ?”
Sous les chapiteaux, les débats apportent davantage de questions que de réponses. Au module sur le fascisme et le changement climatique, un jeune Flamand barbu raconte comment les néofascistes à Gand, sa ville, ont plusieurs fois attaqué des groupes écologistes et féministes : “Pour moi, ce n’est plus de la théorie. Comment on se défend ?”
Dans la tente d’en face, le collectif bruxellois La Voix des sans-papiers décrit le bras de fer constant pour loger ses 95 réfugiés, ou encore la douzaine de déménagements qu’ils ont effectué à travers la capitale en trois ans. “Le changement climatique, c’est un sujet qui nous concerne”, explique Modou, le responsable. “On a déjà vu les conséquences dans nos pays de l’Afrique de l’Ouest. La dégradation climatique a poussé beaucoup de gens à quitter leur pays, certains sont en Europe depuis des années. Ce n’est pas nouveau, pour nous.”
A l’organisation, on se félicite de la “belle solidarité internationale” du camp, qui n’était pas prévue. Outre les cuisiniers hollandais et boulangers français, des enthousiastes sont venus de France, d’Allemagne et des quatre coins de Belgique. La moyenne d’âge des participants est en revanche bien plus homogène : entre 20 et 30 ans, hormis une poignée de sexagénaires curieux et quelques lycéens comme Mireille et Clara, 17 ans, initiées à Bruxelles lors de la Marche pour le climat.
Le pari de la diversité semble gagnant : histoires et expériences se croisent sans se ressembler. Ousmane a passé un an et demi sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), où il est resté jusqu’à son démantèlement au printemps 2018, avant de déménager à Bruxelles. Il est au camp pour assister à la projection d’un documentaire sur la ZAD, qui, comme tous les films présentés sur ces quelques jours, est projeté en “électricité à pédales”. Il y retrouve par hasard un ami de NDDL.
Créer de l’inclusivité
Gisela, Lituanienne de 26 ans, revient tout juste d’un camp pour le climat en Estonie, où elle a passé la semaine pour son travail avec l’association Friends of the Earth (Les Amis de la Terre). “Mais celui-là, je le fais pour mes vacances !”, rigole-t-elle en déposant ses affaires à l’accueil. Zoe, Belgo-Américaine de 23 ans qui étudie la philosophie à l’université de Leuven (Louvain), en Flandres, a aussi fait le déplacement. Elle est venue pour “apprendre de ceux qui sont déjà actifs”, dans le but de lancer son propre magazine de lutte : “Il faut que la société transitionne et abandonne les énergies fossiles”, dit-elle. “On doit se mobiliser en masse, comme l’ont fait les mouvements des travailleurs au XIXème siècle.”
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A côté des toilettes, forcément sèches et “cup-compatibles”, Estelle et Lola, la vingtaine, ont déballé leur stand “Pimpe ton pisse-debout” et invitent les passants à décorer, à la bombe de peinture fluo, un morceau de cintre en plastique creux pour uriner debout. “Ça m’évite d’utiliser les toilettes dégueus dans les bars, et pour les personnes trans, ça permet d’utiliser les urinoirs”, note Estelle.
Lorsqu’il commence à pleuvoir, tout le monde se réfugie sous les tentes, sauf l’atelier samba, qui oppose bravement ses percussions à la pluie battante. Iris rigole : “Souvent, les camps écolos c’est soit masculiniste, soit pratico-pratique, ce qui laisse peu de place à la joie, à l’‘inutile’… au beau, quoi. Alors que c’est important aussi.”
“Des gens viennent me dire qu’ils ne s’attendaient pas à ça”, dit en souriant Ruth, coordinatrice de l’intégration des différentes luttes et responsable de la “Queeravan” garée sur une colline. “On a vraiment voulu faire se rencontrer des minorités, créer de l’inclusivité pour en tirer de la positivité. C’est quand même assez rare d’avoir le même jour un débat sur l’agriculture durable et un atelier sur les identités trans !”
Au-delà du camp, rien n’est sûr, explique-t-elle : ce sont les ateliers du dernier jour qui décideront d’éventuelles pistes, actions ou marche(s) à suivre. Mais le dialogue semble engagé : “Tout le monde a sa place dans la lutte, il faut arrêter de demander aux autres de nous ressembler”, a conclu un jeune homme à l’atelier “écologie radicale”. Les bases sont là, le reste est à construire.
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