Après les attentats du 13 novembre qui ont visé la jeunesse, la culture et le vivre-ensemble, nous avons voulu donner la parole aux artistes et aux chercheurs. Nous ne laisserons pas détruire ce Paris synonyme de résistance culturelle et sociale.
Cette fois, c’était le peuple lui-même qui était visé, c’est-à-dire nous tous, qui aimons les stades, les terrasses de cafés et les salles de concerts. A Saint-Denis comme à Paris, il s’agissait de faire le plus de morts possible, parmi cette multitude française, naturellement diverse et colorée, joyeuse et mélangée, qui s’obstine à vouloir vibrer, aimer et manger ensemble, contre toutes les injonctions séparatistes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un seul peuple, malgré tout, non pas symboliquement pour complaire à je ne sais quel vieux nationalisme, mais indissoluble dans des faits qui ne sont pas des coïncidences, plutôt des vertiges de sens. C’est ainsi que la sœur d’Antoine Griezmann, notre bel attaquant de l’Atletico de Madrid, assistait au concert du Bataclan, elle est saine et sauve ; alors que Lassana Diarra, né dans le XXe, formé au Paris FC, a perdu sa cousine, Asta Diakité, assassinée dans Paris.
Sur son compte Twitter, “Lass” écrit : “Dans ce climat de terreur, il est important pour nous tous, qui sommes représentants de notre pays et de sa diversité, de prendre la parole et de rester unis face à une horreur qui n’a ni couleur ni religion.” Une même terreur contre un seul peuple, pour le diviser encore davantage, pour massacrer ceux qui résistent à la haine de tous contre tous, il s’agit bien de cela.
“Susciter la peur et des réactions communautaires”
Quand on lui parle “d’attentats aveugles”, Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS, auteur du Piège Daech – L’Etat islamique ou le Retour de l’Histoire, rectifie aussitôt : “Ce que visait l’Etat islamique était bien cette jeunesse bobo française qui a élu domicile dans ces Xe et XIe arrondissements. A la fois parce qu’elle symbolise un mode de vie insouciant jugé “répréhensible”, mais surtout aussi parce qu’elle illustre mieux que tout autre milieu les espoirs (et les illusions) attachés aux idéaux républicains français (lutte contre le racisme, les inégalités et les discriminations, empathie envers la population immigrée, tolérance envers l’islam comme “culture du monde” à Paris). En la choisissant pour cible, l’Etat islamique visait à faire sauter un écran de tolérance en opposition avec son projet : susciter la peur et des réactions communautaires en chaîne.”
C’est de nous que parle Luizard, de nous et de nos amis, de nous et de nos lecteurs, de nous et de nos morts, nombreux, trop nombreux, à une poignée de mains de chacun d’entre nous, à un degré de séparation.
L’assassinat de Guillaume B. Decherf
Pendant que nous faisions la fête à la Cigale, au Festival des Inrocks, notre collaborateur Guillaume B. Decherf était assassiné au Bataclan. Dans notre numéro du 28 octobre, il chroniquait le nouvel album d’Eagles Of Death Metal et annonçait le concert du 13. Ce dimanche soir, alors que j’écris ces lignes, lui aurait dû écrire son compte-rendu du concert de Motörhead au Zénith, annulé pour cause d’état d’urgence.
C’est cette belle jeunesse de France, cette belle jeunesse française, qui ne ferait pas de mal à une mouche mais qui continue d’emmerder le Front national, que les terroristes ont cherché à massacrer le plus possible. Aucun hasard mais la volonté froide et délibérée d’éteindre un foyer de résistance culturelle et sociale, dans ses arrondissements populaires et métissés qui ont vu naître toutes les révolutions parisiennes et mourir les dernières barricades de la Commune. Et comment oublier que le Bataclan, où nous avons tous vu tant de concerts, est à portée de voix de l’ancien siège de Charlie Hebdo, celui du massacre du 7 janvier ?
Donner la parole aux artistes et aux chercheurs
Alors que beaucoup répètent des formules guerrières avec une satisfaction suspecte, et que seuls Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Dominique de Villepin, parmi des politiques comme frappés de martialité moutonnière, paraissent avoir perçu de quoi il s’agit exactement, nous avons voulu donner la parole aux artistes et aux chercheurs.
Pour essayer de commencer à comprendre ce qui nous arrive à tous. Avec en tête ce titre de Jacques Rivette, opportunément rappelé sur Facebook par l’ami Laurent Chollet : Paris nous appartient. A nous tous, qui vivons et travaillons ici, et qui ne nous laisserons pas détruire.
Les Inrockuptibles n°1042 « Face à la terreur, Paris nous appartient », en kiosque mercredi 18 novembre 2015
Dans notre numéro :
En souvenir de Guillaume B. Decherf, assassiné au Bataclan
La disparition de notre journaliste et ami Guillaume B. Decherf, 43 ans, tué lors du concert au Bataclan, nous laisse inconsolables.
Attentats du 13 novembre: Récit de trois heures d’horreur au Bataclan
De 21 h 40 à 0 h 30, la salle de spectacles parisienne a été le théâtre d’un massacre méthodique doublé d’une prise d’otages. Notre journaliste Marie-Lys Lubrano était au plus près des forces d’intervention.
“Quand les détonations ont retenti juste en dessous de mes fenêtres, rue du Faubourg-du-Temple”
Notre rédacteur en chef Jean-Marc Lalanne vit à quelques mètres du café Bonne Bière, où s’est déroulée une des tueries. Ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu.
Jean-Luc Mélenchon: “Il faut d’abord lutter contre la panique”
Porte-parole du Front de gauche, habitant du Xe arrondissement, Jean-Luc Mélenchon juge qu’un seuil a été franchi et que la République est en danger. Il invite les responsables politiques à la retenue et à la réflexion.
Robert McLiam Wilson, écrivain: “Nous avons oublié les joies de la haine, l’énergie que ça donne”
Grandi à Belfast sous le terrorisme, l’écrivain irlandais Robert McLiam Wilson vit à Paris depuis plusieurs années.
Pierre Manent, philosophe: “Faire tomber la méfiance réciproque dans notre pays”
Entretien avec le philosophe Pierre Manent, qui appelle l’ensemble des citoyens à accepter la nouvelle hétérogénéité religieuse de la société française.
Parce que nous sommes libres, parce que nous sommes athées, nous avons été attaqués. Mais nous sommes encore vivants. Par Yannick Haenel
Christophe Honoré, cinéaste: “Je pense ‘il faut rentrer chez vous’, je ne sais pas si je le dis”
Il était le vendredi 13 novembre au Théâtre de la Colline pour assister à une représentation de son spectacle, Fin de l’Histoire. Christophe Honoré raconte comment sa soirée a brutalement basculé.
Nicolas Lebourg: “Islamophobes et islamistes s’instrumentalisent les uns les autres”
Comment et pourquoi “Daesh fait quasi naturellement la campagne du FN” et quelle influence pourraient avoir les attentats sur les prochaines échéances électorales. Entretien avec l’historien Nicolas Lebourg qui vient de publier “Les Droites extrêmes en Europe” (édition Seuil).
Raphaël Liogier, sociologue: “La France est prise dans un étau”
Raphaël Liogier analyse les nouveaux mécanismes de la radicalisation dans notre pays et l’influence de l’intervention française en Syrie sur la situation intérieure.
Pierre-Jean Luizard, chercheur : “Il n’y aura pas de victoire purement militaire contre Daesh”
Directeur de recherche au CNRS, Pierre-Jean Luizard décrypte la stratégie de Daesh, le choix de ses cibles et les moyens de le contrer.
Benjamin Stora, historien: après les attentats, “ne pas céder aux discours de haine”
Pour l’historien Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée de l’Histoire de l’immigration, la seule réponse est de contrer la montée des extrêmes identitaires et faire œuvre de pédagogie.
{"type":"Banniere-Basse"}