Le monde de la bande-dessinée se mobilise pour soutenir Yan Lindingre, visé par une plainte du dessinateur Marsault. Entretien.
Depuis ce week-end, les soutiens s’organisent autour de Yan Lindingre, le rédacteur en chef de Fluide Glacial. Une cagnotte Leetchi a ainsi été lancée pour couvrir les frais de justice qu’il va devoir régler. Comme l’explique le texte d’appel aux dons, « le 20 novembre 2018, Yan Lindingre accuse réception d’une plainte lui réclamant 45 000 euros de dommages et intérêts (plus diverses autres sommes) ». Celui qui est également auteur de sketches pour Groland est attaqué en justice par Marsault, à cause d’un post Facebook daté du 4 septembre dernier, dans lequel il expliquait notamment : “Cette nouvelle espèce qui nous envahit, ces dessinateurs de droite et d’extrême droite, émerge au même moment que des mouvement néonazis totalement décomplexés, à travers l’Europe, font florès. Ça ne choque plus l’opinion. Moi si”. Il nous raconte sa version des faits.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comment a commencé ce conflit avec Marsault ?
Yan Lindingre – Ça a démarré en 2013, en réalité. Marsault nous envoie de nombreuses sollicitations chez Fluide Glacial, pour que l’on publie ses dessins. Mais à l’époque je refuse : ses dessins ne font pas encore fachos, mais c’est amateur, et certains sont assez haineux, homophobes. Je refuse donc tout en bloc, ce qui crée un antécédent entre nous. Plus récemment, en mars ou avril, un libraire belge m’a proposé de faire une table ronde avec lui, en disant : « Tous les points de vue sont intéressants ». J’en ai eu marre qu’on me propose ça. Non, tous les points de vue ne se valent pas. Et puis on m’a fait suivre ces posts où il fait l’éloge du IIIe Reich et défend le suprémacisme blanc. J’ai aussi vu que Soral republiait ses dessins.
J’ai donc voulu faire une mise au point, avec un texte posté le 4 septembre sur Facebook. On ne peut pas, comme le fait Marsault, se revendiquer de Fluide Glacial et de Gotlib avec ses idées. Gotlib a perdu sa famille dans des camps, il a lui-même échappé de justesse à une rafle. On ne peut pas tout mélanger, se réclamer de Fluide Glacial tout en prônant ce genre d’idées, qui ne sont clairement pas les bienvenues chez nous. Et Marsault a donc porté plainte contre moi pour « injures publiques ». Il me réclame 45 000 euros, plus des frais éventuels.
A cause de quoi à votre avis ?
C’est une histoire de tarés. Je n’aurais peut-être pas dû écrire le mot « nazi », mais apparemment ce qui le dérange, c’est surtout que j’ai écrit qu’il « soutient les idées de Soral« . Alors que Soral est opposé aux éditions Ring, qui publient Marsault [sur son site, Soral parle de « maison nationale-sioniste », ndlr]. Mais c’est peut-être aussi un coup de communication. J’ai parlé avec la militante féministe Mégane Kamel qui a porté plainte contre Marsault pour « provocation publique à la haine et la violence en raison du sexe ». Elle avait fait un message sur sa page privée pour se réjouir de la fermeture de la page Facebook du dessinateur. Il avait alors utilisé une autre page pour inciter ses fans à la contacter : elle a reçu des centaines de messages d’insultes, d’appel au viol et au meurtre. Ça l’a complètement détruite. Le dossier doit être jugé le 7 décembre prochain; selon elle, la plainte contre moi est une diversion, pour montrer que lui aussi est une victime.
C’est assez rare, les plaintes, dans le milieu de la bande-dessinée…
Oui, il y a une nouvelle espèce d’auteurs que sont les militants d’extrême-droite. Je n’ai pas bien compris si les éditions Ring partageaient ces convictions, même si leurs sujets sont assez puants. Sur ma page Facebook, j’ai eu pendant un moment David Serra, le président de Ring éditions, qui venait menacer de procès toutes les personnes qui tenaient des propos qui ne lui plaisaient pas. C’est un niveau cour de récré cette histoire.
Comment s’annonce la procédure qu’il a engagée contre vous ?
La prochaine étape, c’est le 21 décembre, la consignation. Nous sommes devant la 17e chambre correctionnelle, qui s’occupe du droit de la presse, et c’est un domaine extrêmement technique. Les avocats expliquent que c’est très pénible à faire, il y a des risques de vice de forme assez nombreux. On sait qu’un huissier a travaillé sur leur dossier qui fait une vingtaine de pages, il a relevé tous les commentaires sous mon post. Donc on est obligés de faire la même chose. On verra le 21 décembre si la procédure continue ou si tout s’arrête. J’aimerais avoir Marsault en face de moi ce jour-là, mais il est connu pour ne pas venir lors des audiences.
Comment s’est organisée la quête pour vos frais de défense ?
Mes copains avaient déjà mené une collecte pour Denis Robert, lors de l’affaire Clearstream. Les besoins étaient alors beaucoup plus importants, il avait besoin de 160 000 euros, c’était une affaire autrement plus complexe, mais la même bande de personnes est à l’origine, ils se sont dit : « On remet le couvert ». Les anciens et les nouveaux auteurs de Fluide Glacial participent à cette action et je les en remercie. J’aurais aimé que l’actionnaire(*) participe aussi, parce que ce n’est pas moi que je défends ici, mais l’image de Fluide Glacial, que des auteurs d’extrême-droite tentent de s’approprier…
*Contactés, Fluide Glacial et son propriétaire, les éditions Bamboo, ne souhaitent pas commenter cette affaire.
Mise à jour: mardi 27 novembre, Fluide Glacial a annoncé dans un communiqué que « Olivier Sulpice, fondateur du Groupe Bamboo nomme Jean-Christophe Delpierre au poste de rédacteur en chef du magazine Fluide Glacial« . Yan Lindingre occupait ce poste depuis six ans.
{"type":"Banniere-Basse"}