Robert Boulin s’est-il suicidé? Depuis 38 ans, sa famille se bat pour que justice sois faite. Les gouvernements se succèdent mais l’affaire reste irrésolue. Dans un reportage diffusé sur France 2, l’équipe d’ « Envoyé spécial » enquête. Si les coupables ne sont pas désignés, le verdict est sans appel : l’ancien ministre serait victime d’un crime d’Etat.
30 octobre 1979. Le corps de Robert Boulin est découvert dans un étang de la forêt de Rambouillet, en banlieue parisienne. Le ministre du Travail se serait suicidé. Valéry Giscard d’Estaing alors Président de la République affirme que « les Français connaîtront la vérité » sur cette affaire. Aujourd’hui le suicide reste l’explication officielle. Pourtant, au lendemain de sa disparition, dans un discours à l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas, son ami, parle déjà d’ « assassinat ». C’est cette seconde thèse qui est explorée par l’équipe d’ « Envoyé spécial » dans un reportage diffusé la semaine dernière sur France 2, « Révélations sur un crime d’État« . Qui montre notamment le combat que la famille Boulin mène depuis 38 ans. Sa fille, Fabienne Boulin-Burgeat qui a fondé l’association « Robert Boulin Pour la Vérité », nous le répète :
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« Ce n’est pas un fait divers, c’est une affaire d’État. »
Dossiers volés, autopsie bâclée, documents falsifiés : la liste des incohérences judiciaires est longue. Benoît Collombat, journaliste d’investigation, enquête depuis 15 ans sur l’ « Affaire Boulin ». Il réunit dans ce documentaire plusieurs témoins-clés, hommes politiques, policiers, médecins légistes afin d’éclaircir l’ombre qui plane encore sur les circonstances de la mort du ministre.
https://www.youtube.com/watch?v=SOQIgI2LMLs
Une Guerre politique
A la fin des années 1970, la droite française est déchirée. Jacques Chirac a quitté Matignon pour fonder le RPR. Il devient le chef de file des héritiers du gaullisme auxquels s’opposent les centristes menés par Giscard d’Estaing. Pendant ce temps Raymond Barre, premier Ministre, est trop impopulaire; Robert Boulin est pressenti pour lui succéder. Mais il est propulsé au cœur d’un scandale : l’ « Affaire de Ramatuelle ». Des lettres anonymes l’accusent d’avoir acquis de manière illégale deux hectares de garrigue à Ramatuelle, dans le Var, où il a construit une résidence secondaire. Au micro d’Europe 1, le 21 octobre 1979, il clame son innocence : « Que voulez-vous que je réponde ? J’ai l’âme et la conscience tranquilles et j’ai été exemplaire. Peut-être encore plus que vous ne le pensez, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire ici ». Pour Armelle Montard, sa secrétaire particulière, interrogée par Collombat, ce sous-entendu menaçant a signé son « arrêt de mort ».
"J’ai été exemplaire, il y a des choses que je ne peux pas dire ici" #RobertBoulin a-t-il signé son arrêt de mort ce jour-là? #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/5XbgLcWM8p
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) October 26, 2017
Selon la version d’ « Envoyé spécial », Boulin aurait été en possession de documents révélant les financements illégaux dont a bénéficié le RPR, son propre parti. Ces dossiers auraient été détruits par le SAC (Service d’Action Civique) d’Achille Peretti, Charles Pasqua et Jacques Foccart après l’assassinat du ministre. Ceux qui auraient diffusé les accusations de l’ « Affaire de Ramatuelle » auraient ensuite tout fait pour accréditer la thèse du suicide. Une lettre testamentaire, dont l’origine reste discutée, avait en effet été retrouvée : « J’ai décidé de mettre fin à mes jours. Une grande partie de ma vie a été consacrée au service public. Je l’ai fait scrupuleusement, désirant en toute occasion, demeurer exemplaire. » Officiellement, le ministre se serait donné la mort pour échapper à cette polémique.
Une affaire toujours d’actualité
L’affaire divise la presse et le monde politique. Après un non-lieu en 1991, une nouvelle instruction pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat » a été ouverte en août 2015, sur la demande de la famille. 38 ans plus tard, l’enquête continue de déranger, des éléments essentiels ont disparu du dossier. « Le juge n’a qu’un CD-ROM, des pièces non côtées, des photos qui sont en noir et blanc au lieu d’être en couleurs et qui sont inexploitables », commente Fabienne Boulin. « A chaque avancée, je me dis qu’on va enfin reconnaître que c’est un assassinat. Malgré toutes les preuves qu’on amène on me répète que ça ne suffit pas, qu’il faut continuer. Mais, où sommes nous ? », s’insurge-t-elle.
« L’affaire est toujours d’actualité : elle montre toutes les arcanes mafieuses de ce pays. […] Il serait temps d’y mettre un terme. »
« J’offre encore la possibilité à la justice de sortir par le haut dans ce dossier. Maintenant, soit elle travaille soit elle ne fait rien. Mais c’est sa responsabilité et celle des politiques. J’ai fait ce que j’avais à faire et ‘plus encore’ comme disait mon père ! », poursuit la fille de l’ancien ministre. Car ce combat est également celui d’un héritage : « Mon père était chef de réseau pendant la Résistance. Mon oncle, également résistant, a été arrêté et conduit à Dachau puis Buchenwald. Ça vous oblige une famille comme ça ! […] Ce n’est pas seulement en tant que fille mais en tant que citoyenne que je défends ces valeurs : la vérité et la justice. C’est ma résistance à moi. »
Un devoir citoyen
Pour Fabienne Boulin, l’affaire est en effet la preuve d’un dysfonctionnement politique grave, d’ordre public : « Je pense qu’elle concerne tous les citoyens. Des étudiants en font leur sujet de recherche. Si ces jeunes s’y intéressent c’est parce qu’ils comprennent que cette affaire est symptomatique de la réalité politique de la Ve République », avant d’ajouter, « Pourquoi, depuis 38 ans, on ne veut pas entendre la vérité ? C’est parce qu’elle gêne certaines personnes, encore aujourd’hui. »
« Monsieur Macron dit qu’il veut moraliser la vie publique : Et bien, c’est l’occasion ! »
La justice détient les noms des 2 commanditaires présumés de l’assassinat de #RobertBoulin selon A.Sanguinetti #FranceAfrique #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/HH7bEAxWbD
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) October 26, 2017
Le documentaire révèle que la justice serait en possession de deux noms, ceux des commanditaires présumés de l’assassinat qui ne peuvent, pour l’instant, être rendus public. A la question de savoir si ces nouveaux éléments vont enfin permettre la résolution de l’affaire, Fabienne Boulin reste mesurée : « Nous sommes à la croisée des chemins. Depuis 1979, l’omerta perdure. J’ai toujours su qui étaient les ennemis de mon père. Les gens sont depuis longtemps convaincus que c’est un assassinat et la preuve a été faite. Mais le travail des journalistes aussi professionnels soient-ils n’est pas une preuve pour le juge. Ceci dit, ces documents intéresseront beaucoup les historiens et il est très bien que les choses soient dites aux citoyens. Maintenant, allons nous changer de pratique judiciaire ? Est-ce que la justice va rester le bras armé des politiques qui continueront à agir en totale impunité ? Monsieur Macron dit qu’il veut moraliser la vie publique : Et bien, c’est l’occasion ! L’ ‘Affaire Boulin’ deviendrait la preuve que le système peut changer ! ».
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