La Russie est sous le choc. Dans la nuit de vendredi à samedi, une figure emblématique de l’opposition russe a été abattue de quatre balles dans le dos en plein centre de Moscou. Boris Nemtsov faisait partie de ces rares hommes politiques à critiquer ouvertement Vladimir Poutine. Tous les regards se tournent vers le Kremlin.
Des milliers de personnes ont afflué ce samedi, le long du pont sur lequel Boris Nemtsov est tombé, la nuit précédente. Les bras chargés de fleurs, de bougies, de photographies du disparu ou encore de pancartes portant des inscriptions qui disent le désespoir et l’incompréhension, les Moscovites n’ont pas attendu ce dimanche pour exprimer leur chagrin.
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Trônant d’un côté du pont, la cathédrale Sainte-Basile et la place Rouge ont tout vu. Et c’est dans cette direction, vers l’imposant Kremlin, que presque tous les regards se tournent désormais. Tous se demandent si Vladimir Poutine, le président russe, n’a pas commandité l’assassinat de l’un de ses plus féroces opposants, lequel s’apprêtait notamment à rendre public un rapport prouvant l’intervention de l’armée russe en Ukraine. Cela alors que les médias gouvernementaux, c’est-à-dire la quasi totalité des médias russes, martèlent chaque jour que la Russie n’y est pour rien dans le conflit ukrainien. La faute aux fascistes de Kiev, disent-ils, selon le leitmotiv russe bien connu depuis maintenant un an.
« Malgré les menaces, personne ne s’attendait à ça »
Tatiana, la trentaine, est venue rendre hommage à Boris Nemtsov avec deux de ses amies. « Nous sommes tous sous le choc, dit-elle. C’est une perte immense pour la Russie, Boris Nemtsov était quelqu’un d’exceptionnel, l’un de nos grands leaders et un homme très courageux. Nous savions qu’il faisait l’objet de nombreuses menaces, continue-t-elle, mais personne ne s’attendait à ce qu’il soit tué. On ne sait pas quoi penser… » À ses côtés, Natalia, la cinquantaine, est plus catégorique. « C’est le KGB », lance-t-elle, ne prenant même pas la peine d’employer le terme FSB, qui désigne aujourd’hui les Services fédéraux de la sécurité en Russie.
« On ne saura jamais la vérité »
Les deux amies s’accordent au moins pour dire qu’« on ne saura jamais la vérité. Ou peut-être dans cinq ans, dans dix ans. Comme on n’a jamais vraiment su qui avait assassiné la journaliste Anna Politkovskaïa en 2006. »
Un peu plus loin, Maksim, 19 ans, est venu avec sa mère se recueillir. « Bien sûr, il s’agit d’une nouvelle terrible pour toute la Russie », raconte-t-il. Avant de remarquer qu’il s’agit d’un bien « étrange accident ». Quand on lui oppose qu’il s’agit en fait d’un crime, le jeune homme se ravise. Mais « les personnes qui croient que c’est le gouvernement qui a organisé sa mort ont tort », explique-t-il. Il en est « sûr ».
Poutine, héros de la nation
Quant à la suite, il ne va rien se passer de particulier selon Maksim, dont les propos illustrent à merveille le résultat de la propagande russe. « Notre gouvernement est vraiment très populaire aujourd’hui, confie-t-il. Tout comme notre président ou même notre Premier ministre. Je pense que cet événement va même renforcer notre pays, le rendre d’autant plus fort, plus fier. »
Sur l’après-assassinat, Nina, 75 ans, est au moins d’accord pour dire qu’il ne va rien se passer, « comme toujours ». « Nous ne sommes pas en France où des millions de personnes sont descendues dans la rue après les attentats contre Charlie, toutes solidaires. Non, ici c’est la Russie, les gens vont être affectés quelques jours puis plus rien. Ils ne feront rien. Et tout sera comme avant. »
Aujourd’hui devait avoir lieu une grande marche anti-gouvernementale dans la capitale russe, une marche critiquant la gestion de la crise économique russe et de la guerre menée en Ukraine par Moscou. Elle devait être emmenée par un certain Boris Nemtsov et un autre opposant, Alexeï Navalny, mis sous les verrous pour deux semaines, vraisemblablement pour l’empêcher de réaliser ce projet. Par ailleurs, ce rassemblement inquiétait suffisamment le Kremlin pour que la marche soit interdite. Elle aura bien lieu ce dimanche mais prendra une toute autre forme : au moins 50 000 personnes sont attendues dans le centre de Moscou pour rendre hommage à Boris Nemtsov. Cette fois, le Kremlin a donné son aval.
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