Sous la menace d’une extradition vers la Suède et les Etats-Unis, le fondateur de WikiLeaks a demandé l’asile politique à l’ambassade d’Equateur à Londres.
Un exil à Quito pour Julian Assange ? C’est en tout cas ce que tente d’obtenir le cyberactiviste à la célèbre chevelure blonde, faisant se confondre de plus en plus son histoire avec un thriller suédois signé Stieg Larsson. Assigné à résidence depuis décembre 2010, Julian Assange s’est réfugié la semaine dernière dans l’ambassade d’Equateur, située en plein coeur de Londres, à quelques centaines de mètres du grand magasin Harrods. Le fondateur de WikiLeaks est réclamé comme témoin par la justice suédoise qui souhaite l’interroger sur les accusations d’agressions sexuelles lancées par deux femmes, qui avaient travaillé comme bénévoles lors d’un congrès de l’organisation à Stockholm en août 2010.
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Depuis le début de l’affaire, l’informaticien australien affirme que ces relations étaient consenties et se dit victime d’un complot ourdi par Washington visant à détruire WikiLeaks. Alors que la Cour suprême britannique a rejeté son ultime demande d’appel, l’homme qui a organisé la plus grande fuite de documents diplomatiques de l’histoire espère échapper à son extradition vers la Suède en demandant l’asile politique à Quito.
“La vie en Equateur est bien meilleure que derrière des barreaux. Ce sont des gens généreux, sympathiques”, a justifié à la radio australienne ABC Julian Assange, qui estime que son pays natal, l’Australie, l’a abandonné.
“Je n’ai rencontré personne de l’ambassade d’Australie depuis décembre 2010”, tandis que “les Equatoriens compatissaient à mes luttes et à la bataille de l’organisation (WikiLeaks) contre les Etats-Unis”. Le choix de remettre son salut entre les mains d’un pays peu réputé pour sa défense des libertés publiques peut surprendre, mais pour Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Amérique latine, il s’explique par le fait que l’ambassade équatorienne est la “plus hermétique aux pressions des Etats-Unis. Dans le bras de fer politique qui oppose les pays de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) à Washington, le président équatorien Rafael Correa a remplacé le président vénézuélien Hugo Chávez.”
Souvent critiqué par les ONG pour ses atteintes à la liberté de la presse, le président Correa voit dans l’affaire Assange la possibilité de redorer son image. “Nous rappelons notre ambassadrice à Londres pour consultations car il s’agit d’une affaire très sérieuse”, a déclaré solennellement Correa durant un enregistrement radiophonique à Quito vendredi dernier. En novembre 2010, l’Equateur avait déjà fait des appels du pied au militant australien. Le vice-ministre des Affaires étrangères équatorien avait proposé de l’accueillir mais avait été, à cette époque, désavoué par Rafael Correa.
Depuis, les relations entre le fondateur de WikiLeaks et le chef d’Etat équatorien se sont réchauffées. Le 22 mai, Julian Assange l’avait interviewé par écrans interposés lors d’une émission de Russia Today (chaîne d’information en continu financée par le Kremlin) pour laquelle le trublion australien joue les animateurs de talk-show depuis quelques semaines. A la fin d’une interview mielleuse sur sa vision de l’Amérique latine, Correa avait lancé, goguenard : “Au revoir Julian. Bienvenue au club des persécutés !” Ravi, Assange avait répondu, taquin : “Merci, président, ne vous faites pas assassiner !”
Alors qu’il se définit comme un libertarien, les soutiens politiques d’Assange ont de quoi étonner, surtout que WikiLeaks a renoncé à publier des documents diplomatiques susceptibles de fragiliser le régime russe. En octobre 2010, le porte-parole de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, avait pourtant annoncé dans une interview accordée au journal russe Kommersant des révélations à venir sur la Russie. La croisade anti-impérialiste d’Assange aurait-elle pris le pas sur la quête de vérité et de transparence que s’était assignée son organisation ?
“Ce rapprochement est avant tout conjoncturel, pour Olivier Tesquet, journaliste auteur de Comprendre WikiLeaks (Max Milo). Dans son combat pour éviter l’extradition vers les Etats-Unis, Assange cherche un pare-feu diplomatico-légal. De ce point de vue, les solutions les plus évidentes étaient à chercher du côté du Kremlin et des bolivariens d’Amérique du Sud.”
Depuis l’ambassade équatorienne où il s’est réfugié, Assange s’était justifié d’avoir violé les termes de sa liberté conditionnelle par ses craintes que son extradition vers la Suède ne soit qu’une première étape avant une seconde, vers les Etats-Unis. Le fondateur de WikiLeaks redoute d’être poursuivi pour espionnage outre-Atlantique où, dit-il, il pourrait encourir la peine de mort après la divulgation en 2010 par WikiLeaks de plusieurs milliers de câbles diplomatiques américains, notamment sur les guerres en Irak et en Afghanistan. “Julian Assange a raison de se montrer vigilant puisqu’une procédure pénale a débuté à son encontre aux Etats-Unis, en Virginie, où un grand jury a été réuni, analyse Me Jean-Marc Fédida, avocat spécialiste des libertés publiques. On sait également que les Etats-Unis ont des autorités de poursuites d’une redoutable efficacité, qui ne font preuve d’aucune timidité lorsqu’il s’agit de lutter contre toutes les formes d’atteinte à leurs intérêts supérieurs.”
Peu après l’arrestation de Julian Assange sur le sol anglais en décembre 2010, le journal britannique The Independent avait d’ailleurs indiqué que des contacts diplomatiques avaient eu lieu entre la Suède et les Etats-Unis afin de discuter de l’extradition du fondateur de WikiLeaks. Depuis 1961, un accord d’extradition lie les deux pays. Lors du procès de Julian Assange à Londres, sa défense avait indiqué que la Suède avait de très mauvais précédents en matière de traitement des détenus étrangers. Stockholm avait notamment été rappelé à l’ordre en 2006 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour avoir livré à la CIA un demandeur d’asile égyptien suspecté de terrorisme, qui par la suite avait été torturé. Mais Julian Assange représente un tout autre défi juridique pour les Etats-Unis.
Pour le poursuivre, Washington aura du mal à se reposer uniquement sur l’Espionage Act, un texte datant de 1917 qui permet de condamner les “activités antiaméricaines”. Problème, le poursuivre pour ce motif serait immanquablement perçu comme une atteinte à la liberté de la presse, selon Me Jean-Marc Fédida :
“Les agissements d’Assange ne sont pas susceptibles d’être sanctionnés au regard du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique qui interdit d’édicter toute loi ou toute règle qui viendrait porter une restriction à la liberté d’expression et de pensée.”
En marge du G20 à Mexico, la Première ministre australienne Julia Gillard a assuré que Canberra offrirait une assistance consulaire au fondateur de WikiLeaks dans sa demande d’asile politique à l’Equateur. Preuve que la stratégie médiatique d’Assange fonctionne et que son pays natal ne l’a pas définitivement abandonné. Sauf que cette affaire personnelle a affecté la crédibilité de son organisation. Pour Olivier Tesquet, “WikiLeaks est aujourd’hui cannibalisée par les problèmes juridiques de son fondateur et les derniers documents publiés ont été relativement décevants. L’attraction médiatique, qui a tant servi à WikiLeaks au début, se retourne aujourd’hui contre elle. Les gens ont peur de transmettre des infos à cette structure désormais sous très haute surveillance.”
Pour aller plus loin :
Olivier Tesquet et Aleksi Cavaillez, Comprendre Wikileaks, Max Milo Editions, 170 pages. 9,49€
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