Mardi 28 juin, Nahel, 17 ans, a été tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine). Figure de la lutte contre les violences policières et membre du comité Vérité pour Adama, Assa Traoré revient pour les “Inrockuptibles” sur ce “drame sans nom” tout en appelant les Français·es à se mobiliser.
Nahel, 17 ans, est mort hier abattu à bout portant par un policier à Nanterre. Quelle est votre réaction ?
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Assa Traoré – Ma réaction est la même que celle de tous les Français qui ont pu voir cette vidéo d’une extrême violence : je suis choquée mais, en même temps, il faut tout de suite se ressaisir. Ce qui se passe est vraiment très grave, cela ne peut pas continuer comme ça, il faut se mobiliser. Avec cette vidéo, on a vu ce qu’on ne voit pas d’habitude : on a vu ce qu’on n’a pas vu, fautes d’images, pour Olivio Gomes, tué par balles en 2020 par un membre de la BAC. On a vu ce qu’on n’a pas vu pour Gaye Camara, tué par la police en 2018 d’une balle dans la tête. On a vu ce qu’on n’a pas vu pour tant d’autres victimes. Comme beaucoup de personnes le dénoncent depuis des années, les violences policières sont réelles.
Dans un premier temps, des sources policières ont affirmé que l’adolescent avait foncé avec son véhicule sur les policiers, qui ont invoqué la légitime défense. Le parquet de Nanterre a ouvert dans la foulée deux enquêtes : une pour “refus d’obtempérer”, une autre pour “tentative d’homicide” contre les forces de l’ordre (le policier auteur du tir est actuellement en garde à vue, le parquet de Nanterre ayant ouvert en parallèle une enquête pour “homicide volontaire”). Or des vidéos mettent à mal cette version. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela m’inspire cette question : est-ce à dire que dès lors qu’il n’y a pas de vidéos, on peut mentir, dire ce que l’on veut, et classer une affaire ? Cela montre de fait que quand les violences policières ne sont pas filmées, l’impunité est encore plus énorme. Mais, en même temps, il s’agit d’un piège dans lequel les forces de l’ordre tombent : ne se sachant pas filmées, elles mentent. Aujourd’hui en France, la police et la justice criminalisent systématiquement les victimes. Celles-ci sont toujours désignées comme étant violentes, sont toujours condamnées, et ce même une fois mortes. En somme, il s’agit toujours, et ce coûte que coûte, de protéger le système, de protéger la police. On le voit avec l’ouverture rapide de ce dossier judiciaire : la justice, qui est censée être impartiale, ouvre directement, sur la base des déclarations des policiers, une enquête pour “refus d’obtempérer” et pour “tentative d’homicide”. C’est extrêmement grave. Qui nous protège aujourd’hui ? Qui protège Nahel ? Qui protège cette jeunesse ?
En 2022, 13 personnes sont mortes par arme à feu en raison d’un refus d’obtempérer lors d’un contrôle routier – un triste “record”. Qu’est-ce que cela dit de la police et du maintien de l’ordre en France aujourd’hui ?
Ce qu’il faut bien noter, c’est que des refus d’obtempérer, il y en a énormément en France chaque année ; et je ne pense pas que toutes les personnes concernées soient noires ou arabes (France 3 a établi la liste de toutes les personnes tuées lors d’un refus d’obtempérer en 2022, sans révéler l’identité des victimes, ndlr). Or, les personnes qui meurent dans le cadre d’un refus d’obtempérer sont toujours des personnes de couleur, des personnes noires ou arabes. Ces morts sont totalement ciblées. Pourquoi ? Parce qu’il y a du racisme au sein de l’institution policière, ce que ni la police ni l’État français ne veulent entendre. Aujourd’hui, la France doit avancer, elle est très en retard à ce sujet : il faut qu’elle reconnaisse qu’il y a du racisme au sein de l’institution car tant que ce ne sera pas le cas, il va continuer à y avoir des morts.
La mère de Nahel a annoncé la tenue d’une marche blanche en hommage à son fils jeudi 29 juin à Nanterre, à 14 h, devant la préfecture des Hauts-de-Seine. À l’occasion d’un live organisé avec elle sur Instagram hier soir, vous avez employé l’expression “marche de la révolte”. Que voulez-vous dire par là ?
On entend partout que les émeutiers cassent. Mais tous ces gens ne sont pas des émeutiers : ce sont des personnes révoltées au même niveau que n’importe quel Français qui est contre le fait qu’un jeune soit tué par les forces de l’ordre. La révolte, ça n’est pas casser, ça n’est pas faire du mal : c’est un sentiment légitime. Un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte. La révolte doit par ailleurs être réparée.
Il est important que les Français des quartiers populaires, des centres-villes, de toute appartenance, de toute couleur, de toute religion, bref de partout, viennent demain marcher pour dire que la mort de Nahel est un drame sans nom, et que cela relève d’une injustice énorme. Personne ne devrait avoir à voir de telles vidéos. Il est important de venir avec nos enfants à cette marche, car nos enfants n’ont pas à grandir avec ces images-là, cela ne doit pas être normalisé. Nous devons tous et toutes venir marcher avec nos enfants, car c’est pour eux que l’on marche : Nahel, c’était un enfant.
La veille de la mort de Nahel, la défenseure des droits Claire Hédon a demandé dans un rapport révélé par Le Monde que des “poursuites disciplinaires” soient engagées à l’encontre de quatre gendarmes impliqués dans l’interpellation de votre frère Adama Traoré, décédé le 19 juillet 2016. À l’heure actuelle, ces derniers ne sont pas mis en examen, ce que vous demandez depuis des années avec vos avocat·es. Quelle est votre réaction ?
Claire Hédon parle des conditions d’interpellation mais aussi des “manquements” dans les soins apportés à Adama. Dans ce rapport, elle recommande qu’une “note relative aux dangers de l’immobilisation ventrale soit diffusée au sein de la gendarmerie nationale”, tout en rappelant que cette pratique du placage est reconnue comme “hautement dangereuse pour la vie” par la Cour européenne des droits humains. Qu’elle reconnaisse, à travers l’histoire d’Adama Traoré, que le placage ventral est à revoir au sein de la police et de la gendarmerie est une victoire pour moi. Avec le nom d’Adama Traoré, on peut changer des choses à ce propos. Le combat pour Adama Traoré est un combat qui dépasse la famille Traoré – comme chaque année, une marche est organisée ce 8 juillet à Beaumont-sur-Oise. Quand on marche pour Adama, on marche contre toutes les injustices, on marche pour tous ceux qui sont morts. On continuera jusqu’au bout et quand on voit ce qui se passe avec Nahel, on ne peut pas laisser passer ça.
De façon générale, aujourd’hui, il existe des lois qui sont de véritables permis de tuer, je pense à la loi de 2017 sur le refus d’obtempérer, instaurée sous le mandat de François Hollande, qui autorise les policiers à tirer sur un véhicule en fuite. Mais nous, ce que l’on demande avec notre famille, le comité, et nos avocats, c’est la mise en examen des gendarmes ainsi qu’un procès. Reste que le fait que ce rapport de la défenseure des droits sorte quasi en même temps que le jour de la mort de Nahel montre bien qu’il y a un énorme problème.
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