A l’occasion de notre numéro spécial « Comment ça va, la France ? », l’activiste Assa Traoré évoque le décès de son frère Adama, les violences policières, et la lutte qui continue…
Voilà quatre ans, depuis la mort de mon petit frère Adama, que ma vie a basculé dans un engagement total et entier pour la justice, dans un combat pour la vérité, celle qui se partage, celle qu’on assume de manière commune. Quatre ans, c’est long. Quatre ans, c’est dur. Quatre ans, ça abîme. Et il faut rester debout, ravaler les larmes, refouler la peine, transformer le drame en énergie, accuser les coups qui pleuvent sans gémir, sans s’aigrir. Tenir. Sourire en guise d’infini merci, à tous ces gens qui donnent de leur temps, rien que quelques instants parfois, mais assez pour nous remplir de forces, ma famille et moi.
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Mon petit frère n’a rien fait que circuler à vélo dans le centre-ville de notre banlieue, un jour d’été, celui de son anniversaire. Mon petit frère n’a pas eu de chance, il est tombé sur des gendarmes. Mon petit frère a couru, parce qu’il n’avait pas ses papiers d’identité sur lui, et qu’il ne voulait pas fêter ses 24 ans en garde à vue. Mon petit frère a été rattrapé par les forces de l’ordre. Mon petit frère a été écrasé. Mon petit frère ne pouvait plus respirer. Mon petit frère est mort sur le bitume de la gendarmerie. Comme un chien.
La France va mal, oui.
Il était noir. Il était fils d’immigré. Il était Français.
Il y en a eu d’autres, mort comme lui, avant, après. Des vies fauchées, violemment, pour rien. Parce qu’elles étaient au mauvais endroit au mauvais moment ? Parce qu’elles comptaient moins que d’autres, mieux nées ? Leurs noms sont étouffés comme autant de cris de douleur, dans les mensonges, le silence, l’inertie, d’une justice qui bafoue ici les droits qu’elle fait mine de promouvoir ailleurs. La France va mal, oui. Ses institutions sont défaillantes, elles trient les gens, broient des destins au bénéfice d’un pouvoir qui ne sème que du désordre.
Mon frère était un homme, comme tous les autres. Je suis une femme, comme toutes les autres. Je crierai son nom aussi longtemps que nécessaire. Je ne me tairai jamais. D’autres voix accompagnent la mienne, des dizaines au début, des centaines après, des milliers maintenant. Et nous serons toujours plus nombreux à exiger la reconnaissance et le respect qui nous sont dus. Je crois dans l’avenir, dans le souffle de cette foule qui s’agite, et qui ne demande rien de fou. Rien que la justice, rien que la vérité. Ma France va bien. Elle se bat.
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