Ils s’appellent Chenva, Buon, Liêm, Jean-Vincent ou Fleur, ils représentent la minorité visible des Asiatiques de France. Leurs origines, parcours et engagements sont différents, mais ils ont en commun la volonté de conquérir les institutions politiques.
Des yeux bridés, un visage fin et mate, en jean et mocassin, Chenva Tieu, 48 ans est un entrepreneur à la tête de quatre sociétés, un des fondateurs du Club XXI siècle qui fait la promotion de la diversité dans la sphère publique et le « Monsieur Asie » de l’UMP. Né au Cambodge de parents chinois, secrétaire d’Etat chargé des relations avec l’Asie depuis l’année dernière, il a été investi aux élections législatives dans la 10ème circonscription de Paris.
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Nicolas Sarkozy aurait été séduit par son discours volontariste. « La croissance de la France dépend de la production. Cette croissance, il faut aller la chercher là où elle est, en Asie », déclare-t-il. En stratège, il a suggéré à Nicolas Sarkozy que « la France utilise un de ses atouts : sa communauté asiatique, ces Français bi-culturels. »
Le président aurait-il saisi le message ? Il a particulièrement soigné ses vœux à la communauté asiatique, venue en nombre record assister au Nouvel an chinois et vietnamien à l’Élysée, en février dernier. Une opération séduction à l’égard de ces Français d’origine asiatique qui réclament plus de visibilité ?
Le vote asiatique
Chenva Tieu est passé par les tours de Chinatown à son arrivée en France en 1975 après que sa famille ait fuit les Khmers Rouges. Aujourd’hui résident à Montmartre et investi dans la 10ème circonscription, à cheval sur une partie du 13ème (dont le Chinatown) et du 14ème arrondissement, il se défend d’utiliser ses origines pour capter le vote de la communauté asiatique.
« Je ne sais pas ce que ça veut dire le vote communautaire. J’ai envie de dire aux Asiatiques de France que nous sommes une composante de l’identité nationale. Je serai député de tous les Français, avec une sensibilité, une proximité et une oreille pour les Asiatiques », affirme-t-il.
Le vote asiatique existe-t-il ? Cliché numéro 1 : les Asiatiques sont de droite. « Politiquement, les Asiatiques sont assez répartis autour du centre. Ils suivent avant tout un principe de prudence », note Emmanuel Ma-Mung, spécialiste de l’immigration au laboratoire Migrinter du CNRS. « Mais comme pour tout le monde, ce qui prime, c’est leur position sociale », nuance-t-il, « s’ils sont petits patrons ou employés, leur orientation sera différente ».
Cliché numéro 2 : les Asiatiques sont abstentionnistes. Buon Hong Tan, président de l’Amicale des Teochew de France (diaspora chinoise d’Asie du Sud-Est) et actuel adjoint au maire PS du 13ème arrondissement, se rappelle des élections municipales de 2008. « Sur le terrain, je poussais les jeunes Asiatiques à aller voter ». D’après lui, « les familles asiatiques sont moins politisées ». « Je pense que le changement viendra avec la jeune génération. »
Le grand écart culturel
Les Asiatiques sont-ils aussi discrets que le veut la légende ? Pierre Picquart, sociologue spécialiste de la Chine, tient à souligner qu’un fossé culturel sépare les Asiatiques de leur terre d’adoption républicaine.
« En Chine, la démocratie n’est pas bien perçue par le peuple. On préfère un leader politique qui rassemble tout le monde, explique-t-il. La conception même du vivre-ensemble est différente. C’est plus rentable de faire des choses concrètes. La politique ne stimule pas. »
« Parler politique, c’était un sujet interdit à la maison », confirme Liêm Hoang Ngoc, premier député européen d’origine asiatique, élu en 2009 aux couleurs du Parti socialiste. Pour ses parents, émigrés vietnamiens, la politique était taboue. « Ils estimaient que la France n’était pas leur pays et ils pensaient que si je faisais de la politique, je serais envoyé en prison », confie-t-il.
Wei Ming ou Martin Shi, pour la version francisée, travaille dans une épicerie exotique de Belleville. Originaire du sud de la Chine, l’ancien co-responsable du Parti Radical du 20ème arrondissement a lui aussi eu envie de s’engager. « Je n’ai jamais eu le droit de voter en Chine alors ici, c’est une chance pour moi. Ici on a le droit de s’exprimer », proclame-t-il fièrement. « Et les Asiatiques ont envie de s’intégrer à la vie politique ». Pour lui, la première barrière, c’est la langue qui les rend « invisibles ». Cet accent haché cliché, popularisé récemment par l’humoriste Frédéric Chau du Jamel Comedy Club.
Gueule d’asiat
En France, la communauté asiatique est estimée à environ un million de personnes par Pierre Picquart. (Nombre de Français d’origine asiatique, de naturalisés et de familles biculturelles). Les Asiatiques du Sud-Est ont émigré à la fin des années 70, fuyant les guerres civiles et le communisme, tandis que les Chinois sont arrivés dans les années 80 avec l’ouverture de leurs frontières.
Les nouveaux venus en politique font partie de la seconde génération qui atteint aujourd’hui 20, 30 ou 40 ans. Ils emboîtent le pas à leurs aînés des communautés maghrébines et africaines, dont la question de la représentativité s’est imposée dans le débat il y a une quinzaine d’années.
Le premier homme politique « visiblement asiatique » médiatisé est le sénateur Europe Ecologie-Les Verts de l’Essonne, Jean-Vincent Placé. Plutôt paradoxal, dans la mesure où il n’est pas représentatif de la communauté asiatique étant né en Corée et adopté à l’âge de 7 ans. Sous les dorures du Sénat, il explique gêné: « C’est Alain Marleix qui a attiré l’attention sur mes origines en étant discourtois à mon égard ». Le secrétaire d’Etat UMP l’avait qualifié de « coréen national ». Choqué, Jean-Vincent Placé avait porté plainte. Celui que ses amis appellent « le Normand », ironise :
« Je me sens concerné dans la mesure où j’ai une face d’asiatique, mais je ne suis pas biculturel. Politiquement personne ne me perçoit comme asiatique et je ne veux pas instrumentaliser ça ».
Ce décalage d’image, Fleur Pellerin, conseillère numérique du candidat François Hollande pour les élections le connaît aussi. Elle a aussi été adoptée en Corée à un an. Avec sa coupe au carré impeccable, et son trench en skaï, Chenva Tieu la qualifie de « banane » : blanche dedans et jaune à l’extérieur. Fleur Pellerin parle d’une véritable « projection » de la communauté asiatique sur elle. « Je recevais des messages sur Facebook d’asiat’ qui me félicitaient car ils avaient l’impression que je les représentais », sourie-t-elle. « Je comprends leur fierté. Je trouve ça plutôt bien. » Au Club XXI siècle qu’elle dirige, elle est d’avantage sensible à « la diversité sociale » et réfute « l’approche communautariste ».
Les politiques ne jouent pas le jeu
Pour la communauté asiatique, l’effet miroir est loin d’être systématique. Avec son air déterminé, Cuong Pham Phu, est technicien dans une grande surface en Seine-et-Marne après un service dans la Légion Etrangère. Il a lancé le Cercle de réflexion sur l’avenir des Français d’origine asiatique dont la page Facebook compte 316 membres et tient un blog, où il raille ces « premiers arrivés » qui représentent l’« élite ». Celui qui met une énergie considérable à parler un français délié malgré un accent marqué n’a pas été élu aux cantonales de 2011. Il s’était présenté sur une liste indépendante après avoir quitté le PS, accusant les grands partis de réserver trop peu place aux minorités.
Martin Shi, le commerçant de Belleville, dresse lui aussi le même constat. Il a quitté le Parti Radical déplorant que les partis « ne donnent pas de places gagnables » à des candidats tels que lui. Le processus de cooptation est-il trop long ? Chenva Tieu s’était lui aussi plaint d’avoir été écarté des élections législatives de 2007 par l’UMP.
« L’égalité des chances ce n’est pas de la discrimination positive qui signifie qu’on réserve des places à la ligne d’arrivée. Nous, on réclame des places sur la ligne de départ », affirme-t-il avant de recommander à la communauté asiatique d’être « plus activiste ».
Il a crée le Conseil représentatif des associations asiatiques de France (CRAAF) en 2011. Une « force constituée » pour exprimer leurs revendications face à « l’Etat, aux médias et au capital ». Le Conseil national des asiatiques de France (CNAF), est aussi né l’année dernière. Ces deux institutions sans site web ne sont toujours pas actives. « Des problèmes de chef », lâche Chenva. C’est Buon Ton, l’adjoint au maire du 13ème qui a été élu président du CRAAF. De son côté, ce dernier promet la publication prochaine d’un livre blanc des demandes de la communauté asiatique aux différents candidats à la présidentielle.
2012, année asiatique ? L’affirmation de la communauté en politique reste encore marginale, mais des figures ont émergé au-delà de la simple représentation. « Il se passe quelque chose », sent Chenva Tieu. « On peut se révéler dans notre diversité. Les jeunes doivent mettre en valeur leur complexité. »
Eléonore Sok Halkovich
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