Genre souvent méprisé pour son passif de littérature à l’eau de rose, le roman-photo s’expose au Mucem à Marseille.
Alors qu’il était passé de mode, voire devenu un ovni pour les jeunes générations, le roman-photo renaît de ses cendres. Cet art autant littéraire que pictural est remis en lumière grâce à Frédérique Deschamps, commissaire de l’exposition Roman-Photo qui se déroule actuellement à Marseille, dans l’enceinte du Mucem. Fascinant, désuet et charmant, le genre s’expose sous toutes les reliures : on découvre ses origines italiennes, sa cote de popularité folle dans les années 60, ou encore les passages de Sophia Lauren, Hugh Grant, Dalida ou Johnny Hallyday dans les pages de l’iconique revue Nous Deux.
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Né en 1947 dans les magazines Il Mio Sogno et Bolero Film – à quelques semaines d’intervalle – le roman-photo, hybride de BD et de photographie, rencontre vite le succès. La mode va prendre sur tout le bassin méditerranéen et se transformer en phénomène de société : c’est sous cet angle que s’articule toute l’exposition du Mucem.
En France, le roman-photo trouve ses marques en 1950 grâce à la revue Nous Deux, qui devient rapidement l’ambassadrice du genre. Dans les années soixante, les grandes figures des années yé-yé vont même se succéder dans les cases de roman-photos : on y croise notamment Johnny Hallyday. Le genre est si populaire qu’on estime qu’un Français sur trois lisait des romans-photos à cette époque – les femmes en majorité. Le public féminin se délecte des histoires d’amour qui finissent bien, des grandes romances racontées image après image. La première partie de l’exposition se concentre sur les histoires à l’eau de rose qui ont fait la renommée du genre.
Si on a taxé le roman-photo de misogynie – la femme n’est complète que dans le couple dans l’ample majorité des cas – c’est en réalité, comme l’explique la sociologue Marcela Iacub (citée dans l’exposition), le genre qui va remettre en cause le mariage bourgeois classique des années 60 : “Les décennies qui séparent l’après-guerre de la révolution des mœurs des années 1970 ont été celles d’une crise profonde du mariage bourgeois. (…) Cette société, qui était en train de chercher de nouvelles formes, de réorganiser le couple et la sexualité, a soudain considéré que l’amour était prisonnier et que rien ne pouvait être plus beau que de le libérer. Le roman-photo a donc activement participé à cet immense mouvement de remise en cause du mariage bourgeois avec les féministes, les sexologues, le planning familial, les intellectuels.”
De plus, la plupart des scénaristes, des lectrices, des éditrices sont des femmes – ce qui en fait presque un genre littéraire féminin à part entière à ses débuts. Dans un entretien au magazine i-D, la commissaire d’exposition Frédérique Deschamps explique d’ailleurs que, par la lecture chez soi, avant de dormir, dans un cercle intime, le roman-photo était devenu le porno des femmes : “Les mecs regardaient du X et les femmes lisaient des romans-photos, c’est certainement cette sentimentalité dégoulinante que voulait évoquer Roland Barthes quand il déclarait que Nous Deux – le magazine – est plus obscène que Sade.”
Le roman-photo détourné
La fin de l’exposition du Mucem se consacre aux esprit subversifs qui ont transformé le genre en matériel érotico-pornographique, politique, satirique ou purement artistique. L’art s’empare du roman-photo car, comme l’explique Frédérique Deschamps dans le communiqué de presse de l’exposition, “dans le roman-photo, l’image n’a pas vocation à être belle. Elle doit avant tout servir un récit dont la lecture se voulait rapide et simple.” Les oeuvres satiriques du magazine Hara Kiri ou Satanik ou bien la reprise politique du roman-photo par les Situationnistes semblent une suite logique dans l’utilisation de ce genre littéraire.
Enfin, de “porno des femmes”, le genre a été soumis au porno tout court. Tout un courant d’histoires érotiques a circulé dans les années 70 et 80, notamment en France. Dans la seconde partie de l’exposition du Mucem, une salle interdite au moins de 18 ans est dédiée à l’érotisation du genre. De la romance chaste et mielleuse à ses incarnations plus hot, l’exposition Roman-photo réussit à redorer le blason de ce genre hybride dans l’enceinte du Mucem – tout autant que dans l’esprit des visiteurs.
particulière.
Cliché: © Josselin Rocher
Roman-Photo, au Mucem de Marseille, jusqu’au 23 avril 2018.
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