C’est l’histoire d’un clitoris coupé et d’une vulve infibulée. Un phénomène qui existe depuis des milliers d’années mais qui fait l’objet d’une lutte récente. Des origines floues à la reconnaissance tardive, l’excision reste une lutte quotidienne pour des hommes et des femmes bien décidés à en découdre avec cette pratique.
« Il y’a une grande fête prévue pour toi cet été…« . Une phrase en apparence anodine lancée à une fille, une soeur, une cousine. Des propos de ce type qui devraient éveiller les soupçons au moment des « grandes vacances d’été » dans le pays d’origine, souvent en Afrique.
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À la rentrée, la concernée a l’air normal. Personne ne peut le voir mais son clitoris a été retiré (clitoridectomie), ses petites lèvres coupées, ses grandes lèvres parfois cousues (infibulation). Moins fréquemment, il se peut qu’on lui ait étiré les lèvres. Meurtrie dans son sexe. Meurtrie dans sa chair. Meurtrie dans son identité.
Difficile de nier la réalité des chiffres : 6 000 femmes excisées par jour dans le monde et plus de 1,2 million qui l’ont été depuis le 1er janvier 2016. Mais derrière ce constat clinique se cache une mutilation permanente aux origines méconnues. En effet, ne serait-ce que géographiquement, il est difficile de savoir précisément où la pratique a vu le jour. Pour Marion Schaefer, directrice de l’association Excision parlons-en, il y a de grandes chances que l’Égypte antique ait été l’un des berceaux du phénomène.
Des origines toujours opaques
Les mutilations ont perduré dans le pays et perdurent encore puisque 91 % des Égyptiennes sont excisées. Jean-Claude Piquard, sexologue à Montpellier et auteur du livre La fabuleuse histoire du clitoris, avance pour sa part l’hypothèse selon laquelle l’excision pourrait avoir pris sa source entre le Tigre et l’Euphrate, ce qui équivaut plus ou moins à Bagdad aujourd’hui.
Quant aux fondements de la pratique, il a aussi son idée : “Je pense que l’homme a commencé à exciser 2 500 avant Jésus-Christ quand il s’est sédentarisé. Il s’est mis à accumuler des richesses : un troupeau, une maison et a voulu transmettre ça à ses fils. Or, pour s’assurer que les enfants étaient les siens et non ceux du voisin, on a souhaité contrôler la sexualité des femmes et c’est passé par l’excision.”
La situation était différente tant que les humains étaient nomades. Les hommes n’avaient pas ni assise territoriale ni cheptel ou biens propres. Difficile de savoir qui était le géniteur de qui. “La pratique s’est probablement propagée jusqu’à l’Afrique via l’Egypte”, ajoute Jean-Claude Piquard. Des égyptologues ont d’ailleurs découvert des momies excisées.
L’excision a finalement démarré bien avant l’apparition des religions. D’ailleurs, aucune ne prescrit de couper un clitoris. En revanche, elles peuvent être invoquées pour légitimer la mutilation. “L’excision n’est pas l’apanage d’une seule religion. On la voit chez les musulmans, les chrétiens coptes, les animistes et les juifs felashas”, énumère Marion Shaefer. “Des groupes islamistes empêchent de faire passer une loi contre l’excision au Mali par exemple. Alors que cette pratique n’est pas prescrite par l’Islam’’, remarque Jean-Michel Maisons.
Un combat tardif causé par la négation du clitoris
Même si l’excision est une pratique ancestrale qui s’étend au-delà de l’histoire des religions, sa reconnaissance est récente. Jusqu’aux années 1980, on l’évoque peu. Pendant une bonne partie du XXème siècle, c’est silence radio. Jean-Claude Piquard a travaillé sur la question. Pour lui, cette prise de conscience en Occident s’est faite tardivement car une négation du clitoris s’était instaurée. “Au Moyen-âge, on connaissait le clitoris. On pensait qu’il était un miroir du pénis. Et comme il y avait éjaculation chez l’homme, on croyait que la femme devait jouir (du clitoris) pour tomber enceinte. Et puis, à la fin du XIXème et au cours du XXème, le clitoris a disparu des manuels d’anatomie et de médecine”, raconte-t-il.
Jean-Claude Piquard, sexologue à Montpellier. Photo capture d’écran.
D’après le sexologue, on a fait passer le clitoris à la trappe quand on a découvert qu’il ne servait pas à tomber enceinte et que la natalité était liée aux ovaires. Peu importe qu’il soit au cœur du plaisir féminin. “Au XXème siècle, personne n’a lutté contre les clitoris excisés car personne ne reconnaissait qu’ils existaient. Ils ne sont même pas dans les manuels de SVT aujourd’hui’’, regrette Jean-Claude Piquard. Freud et sa fixation sur le plaisir vaginal n’ont pas contribué non plus à redorer le blason de ce pauvre clitoris. Il faudrait attendre les années 1990 puis 2009 avec le célèbre film Fleur du désert, basée sur la vie de l’actrice et mannequin Waris Dirie – elle-même excisée – pour faire déciller les yeux.
Des associations qui oeuvrent au quotidien
En France, on trouve plusieurs associations qui défendent l’abandon de l’excision. La plus connue reste le GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles), créé en 1982. L’association lutte contre toutes les violences faites aux femmes, dont les excisions et infibulations. Isabelle Gillette-Faye en est devenue la présidente en 1990. Auparavant, cette sociologue travaillait dans le domaine pénitentiaire. Avec les membres du GAMS, elle intervient en milieu médical, pour former les médecins, les infirmières, les aides-puéricultrices, dans les centres pour demandeurs d’asile et en milieu scolaire.
Au collège ou lycée, aborder le sujet de l’excision se révèle délicat mais nécessaire pour inciter les jeunes filles à se tourner vers l’infirmière de l’établissement en cas de doutes. “On aborde le sujet sous l’angle de la loi, on leur explique : vous avez des droits, voilà lesquels”, raconte Isabelle Gillette-Faye.
L’association franco-malienne Marche en corps intervient aussi dans les écoles. Cette structure, créée en 2011 par Véronique Sacré, est partie d’une idée simple : organiser des marches de solidarité contre l’excision en France et au Mali. Toutefois, ses adhérents ne peuvent plus se rendre dans ce pays africain à cause des risques pour leur sécurité. Ils multiplient toutefois les actions contre l’excision, ont produit deux films et organisé une marche de 450 kilomètres de Quimperlé à Angers. Les militants organisent toujours des marches au cours desquelles ils font des haltes pour donner des conférences.
Malika Houari est trésorière de Marche en corps. Auparavant, elle s’était rendue au Mali plusieurs fois car elle était membre d’une association de jumelage Quimperlé-Nara (ville malienne à la frontière avec la Mauritanie). Son engagement à l’excision, elle le doit à un “point déclencheur”. “Dans ma jeunesse, j’ai lu Ainsi soit-elle de Benoîte Groulte où elle évoquait l’excision. Je ne pensais pas que ça persistait. On n’en entendait pas parler au Mali. C’était caché, ça se faisait en catimini”, souffle-t-elle.
Dès lors, elle a décidé de lutter contre cette pratique. Le travail est ardu, les consciences peinent à s’éveiller. “En Afrique, c’est difficile de mobiliser les gens car ils ont une réticence à afficher leur hostilité à l’excision”, déplore-t-elle. Marion Schaefer est, quant à elle, une jeune femme engagée depuis longtemps. Avant la création de l’association Excision parlons-en, elle travaillait pour les Nations Unies en Égypte. Soucieuse de la cause des femmes, elle a vite fait le constat qu’il n’existait pas, en France, de site internet général sur l’excision, avec les lois, les chiffres, etc.
A l’initiative du journaliste Louis Guinamard et avec l’implication d’autres acteurs dont elle faisait partie, ils ont décidé ensemble de fonder en 2013 cette plateforme pour réunir les associations contre l’excision. Excision parlons en n’intervient pas sur le terrain mais dirige les femmes vers des structures adaptées, comme le GAMS.
Pratique et lutte variable selon les États
Malgré leur travail de longue haleine, les associations ont le sentiment que le sujet ne titille plus la curiosité des médias. Marion Schaefer déplore cette baisse d’intérêt: “Les médias en parlaient dans les années 90 car il y a aussi eu à cette époque de grands procès. Puis ils se sont détournés”. Finalement, le 6 février a été consacré à la lutte contre cette mutilation.
Mais le risque est de voir les médias mettre un coup de projecteur uniquement à cette période. “Les médias nous font de la place une fois par an. C’est dommage car on en parle juste le 6 février”, regrette Isabelle Gillette-Faye. Elle ajoute cependant que certains médias comme “RFI et France 24 la sollicite plus souvent, ainsi que la presse locale”.
Au niveau étatique, l’excision et sa condamnation sont hétérogènes. Si une loi condamne l’excision en Égypte, la réalité est bien différente. Les femmes sont toujours massivement coupées ou infibulées, surtout en milieu médicalisée d’ailleurs. Dernier cas médiatisé : celui d’une adolescente égyptienne décédée des suites de son excision en clinique. Au Sénégal, l’excision est condamnée par une loi de 1999 et par l’article 7 de la Constitution du 7 janvier 2001 qui dispose : “Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques.”
Le taux d’excision dans le pays s’élève à 26 %. Un chiffre beaucoup plus bas qu’en Égypte mais assez conséquent. Pour Jean-Michel Maisons, les vagues migratoires de la Côte d’Ivoire et du Mali au Sénégal font grimper le nombre d’excisions. Cette protection par la Loi est sans nul doute un pas de géant mais cela ne suffit pas. Il faut que l’abandon vienne des citoyens.
L’excision : les raisons invoquées
Le constat est clair : on excise toujours. Pourquoi ? En creusant un peu du côté de l’organisation sociale des ethnies, des éléments de réponse apparaissent. Pour Malika Houari, la question de la respectabilité de la femme est au cœur du raisonnement. “Il y a un lien très fort entre excision et place dans la société. Une femme n’obtient une place honorable que dans le cadre du mariage. Or, dans de nombreuses ethnies, l’excision est une obligation pour trouver mari. Ainsi, une mère excisera sa fille pour qu’elle se marie”, regrette-t-elle. La sexualité est donc bridée, par orgueil biologique, pour s’assurer un contrôle. Une femme doit savoir se tenir en somme.
Fleur du désert, basé sur la vie de Waris Dirie. (capture d’écran)
Chaque femme réagit différemment à l’excision. Il est difficile de faire une généralité même si on retrouve de nombreux “dommages collatéraux” : fistules, incontinence, hémorragie, ou parfois la mort. Souvent, il faut désinfibuler la femme pour qu’elle puisse mettre son bébé au monde. “Sauf que même désinfibulée, la vulve reste rigide et il faut faire souvent des épisiotomies”, indique Isabelle Gillette-Faye. Sans oublier le mari qui demande des fois la réinfibulation de son épouse.
En outre, certaines ont été excisées si petites qu’elles ne s’en souviennent pas. Chaque femme est différente dans son corps. “Il y a des femmes qui arriveront à prendre du plaisir excisées et d’autres qui en retrouveront petit à petit. Mais la plupart, au contraire, n’en auront jamais. Un tout petit coup de rasoir aura suffi à leur ôter tout plaisir”, explique Marion Schaefer.
De même, les femmes excisées ne vont pas toutes chercher à se faire opérer pour reconstruire leur clitoris. “Certaines ne veulent pas subir encore une opération. D’autres s’autorisent à être opérées car elles sont en Europe”, précise Isabelle Gillette-Faye. Le GAMS a accompagné 57 femmes en 2015 sur cette voie.
“L’opération peut leur faire retrouver du plaisir, ou pas. Mais je crois que ce qu’elles cherchent avant tout, c’est à se réapproprier leur corps, leur identité, qu’on leur a pris”, ajoute-t-elle. La reconstruction reste une démarche intime, même si certaines sont accompagnées par leur mari.
La marche de Quimperlé à Angers. (Photo Marche en corps.)
C’est d’ailleurs l’un des chevaux de bataille des associations : rallier les maris à la cause… Malika Houari observe un changement positif. Selon elle, les hommes commencent à prendre le problème au sérieux. Isabelle Gillette-Faye acquiesce : “Depuis le début des années 2000, on voit venir à l’association des hommes investis car leur femme souffre lors des rapports sexuels.” Cette évolution, la présidente du GAMS l’attribue à une meilleure éducation.
Mobiliser les hommes, un enjeu de taille
Selon elle, dans les années 1980, il y avait davantage d’illettrisme. Or, de nombreux hommes ont émigré dans les pays occidentaux, dont la France. Dans des États où l’excision est réprimée et l’accès à l’éducation beaucoup plus aisée, ils ont changé leur point de vue. De plus, “ils ont envoyé de l’argent à leurs familles dans le pays d’origine et ont permis d’envoyer leurs enfants à l’école et de construire des établissements scolaires”.
Cette génération d’enfants a donc développé son jugement critique. Jean-Michel Maisons juge lui aussi que “les hommes doivent être des moteurs de l’abandon de l’excision”. D’autant que “c’est le chef du village qui décide de l’abandon dans tout le village” dans ce système social. Ce retraité se rend régulièrement dans des écoles “car des hommes qui en parlent, cela donne de la crédibilité au combat. Même si c’est moins évident pour moi, homme, d’aborder le sujet naturellement”.
En effet, il n’est jamais facile d’évoquer un clitoris, petit organe profond de 11 centimètres qui déchaîne les passions depuis des siècles, entre apologie, haine, indifférence. Le sexe féminin reste un combat. Personnel, collectif, national, transfrontalier. En un mot : universel.
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