Dès l’ère communiste a émergé en Pologne un art contemporain underground et libre. Visite, à Varsovie, sur les lieux de cette histoire non officielle, au moment où l’ex-Bloc de l’Est investit Beaubourg.
En Pologne, la connexion entre modernisme et communisme est très forte”, explique Joanna Mytkowska, qui cosigne l’exposition du Centre Pompidou et prendra les rênes en 2014 du futur musée d’Art moderne et contemporain, qui émergera à Varsovie face au très stalinien palais de la Culture.
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Pas étonnant alors que cette entreprise de “réécriture de l’histoire récente” ait mis près de vingt ans à se profiler. Pas étonnant encore si, contrairement aux idées reçues, 1989 n’est pas une date clé dans l’histoire artistique polonaise.
“C’est au début des années 80 qu’eut lieu le premier tournant, alors que le pays était soumis à la loi martiale”, assure l’historienne de l’art Anda Rottenberg. “L’art, un art underground qui avait disparu de la rue et des institutions mais qui faisait rage dans les ateliers et dans les appartements privés, n’était alors limité ni par le marché, ni par la censure, analyse celle qui contribua largement à la diffusion de l’art polonais à l’Ouest. De la même manière, le marché, après la chute du Mur, a mis dix ans à s’intéresser aux artistes polonais.”
Aujourd’hui, ils sont nombreux à s’être imposés sur la scène internationale : Pawel Althamer, Monika Sosnowska, Goshka Macuga, Wilhelm Sasnal ou Krzysztof Wodiczko écument les foires, biennales et musées du monde entier. Longtemps considérée comme la patrie de la littérature et du théâtre (dont Witold Gombrowicz et Tadeusz Kantor sont les illustres représentants), la Pologne, depuis le début des années 2000, s’impose aussi comme une référence en matière d’arts visuels.
De là à penser qu’avant cette date la scène artistique polonaise se réduisait à néant… L’exposition orchestrée aujourd’hui par le Centre Pompidou permet à plus d’un titre de rétablir la vérité et de signaler notamment, des années 50 jusqu’à la chute du Mur, la présence, certes discrète, parfois même invisible, des arts plastiques dans les anciens pays du bloc de l’Est.
Plus épargnée que ses voisins (la Roumanie, la Hongrie ou la Tchécoslovaquie par exemple – tandis qu’en Albanie les peintres abstraits étaient tout bonnement envoyés en prison), la Pologne, depuis le dégel de 1956, a composé avec “une censure plus soft”, explique Joanna Mytkowska. Et ce qui frappe d’emblée, c’est l’existence insoupçonnée de foisons d’artistes qui travaillaient parallèlement à l’histoire “officielle” promue en Occident sur les standards que sont le constructivisme, le surréalisme, l’art conceptuel ou l’art performatif.
Il faut dire, comme l’explique Anda Rottenberg, que, “malgré la régularisation polonaise qui limitait les voyages des artistes polonais, il existait de multiples connexions entre les artistes occidentaux et les artistes d’Europe de l’Est”.
Daniel Buren, Christian Boltanski ou Guy Debord se sont rendus à maintes reprises en Pologne, tandis que des figures de l’art polonais qui bénéficiaient d’un régime plus souple rapportaient de leurs voyages de précieuses informations.
“C’est le cas de Kantor notamment, aux débuts de la galerie Foksal”, explique la jeune directrice de cette galerie “non profit” crée en 1966 sous l’impulsion d’un groupe d’artistes (Wieslaw Borowski, Edward Krasinski et Kantor).
A quelques heures de Varsovie, le musée d’Art moderne de Lodz a pu également compter sur ces échanges souterrains : “Le musée a été créé en 1931, juste après le MoMA, grâce à un groupe d’artistes qui a fait le pari de demander à vingt-sept avant-gardistes européens de leur léguer des oeuvres. C’est comme ça que la collection a commencé”, explique le directeur de ce musée construit dans une ancienne usine textile.
“Aujourd’hui, on pense la modernité à travers les termes anglo-saxons. Pourquoi penser la modernité en Pologne ou en France via Clement Greenberg ? (le grand théoricien américain de l’art moderne – nldr)”, s’interroge encore le directeur du musée. C’est une interrogation que semble partager une nouvelle génération d’artistes polonais qui, bien que très connectée au marché international, questionne mine de rien sa propre histoire.
C’est le cas de Monika Sosnowska, à qui l’on doit la scénographie de l’exposition Les Promesses du passé à Beaubourg. En 2007, à la Biennale de Venise, elle signait l’un des plus beaux pavillons des Giardini, avec une installation monumentale en forme de défi qui consistait à faire tenir une architecture dans une autre. Un geste hautement symbolique qui en dit long sur l’entreprise de relecture du modernisme et du communisme chez cette jeune artiste passée par des études d’architecture.
La fondation Foksal – à ne pas confondre avec la galerie Foksal – entend également réussir ce grand écart. Au dixième étage d’une HLM située dans les faubourgs de Varsovie, Andrzej Przywara règne sur un lieu étrange et poétique qui n’est autre que l’ancien atelier d’Edward Krasinski, l’une des figures les plus singulières de l’art polonais des années 60 et 70.
Comme Daniel Buren (qui lui rendit visite à maintes reprises et signa son passage de ses fameuses rayures), Krasinski a adopté un langage visuel caractérisé par l’utilisation systématique de bandes de sparadrap bleu qui marquent l’ensemble de ses sculptures et installations.
“Lorsque sa femme nous a confié l’appartement, nous avons décidé de le garder tel quel, explique Przywara, mais, pour nous ne pas tomber dans la nostalgie, nous avons également décidé de créer une extension sur la terrasse, une sorte de white cube qui nous permet d’organiser des lectures, des projections et des séminaires.”
Autre signe fort de cette nouvelle équation qui se joue actuellement en Pologne, la création en 2002 du café Krytyka Polityczna, un bar branché – et une revue éponyme – où s’affichent en vitrine des pavés (forcément révolutionnaires) et des ouvrages de Rancière, Badiou et Zizek. Artistes, critiques et activistes s’y retrouvent tous les soirs pour débattre du renouveau de la gauche et concevoir la réconciliation en marche avec l’héritage communiste.
Photo : Nesa Paripovic, Photographie du tournage du film NP 77, © Goranka Matic, Courtesy de l’artiste et Musée d’art contemporain de Belgrade (le film NP 77 fait partie de la collection du Centre Pompidou, Paris)
Les Promesses du passé Jusqu’au 19 juillet au Centre Pompidou, Paris IVe.
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