Un clip du rappeur local Abdelos, tourné dans la cité du Neuhof à Strasbourg, met en scène des jeunes qui brandissent des armes et dealent de la drogue. Le parquet de Strasbourg a ouvert une enquête.
Mis en ligne sur YouTube le 1er mai, le clip d’Eider, d’Abdelos – un rappeur de Strasbourg – a récolté quelque 60 000 vues jusqu’à présent. La plupart n’ont certainement pas été suscitées par la qualité du clip, ni du titre, mais par son contenu volontairement provocateur. Le parquet de Strasbourg a en effet ouvert une enquête, confiée à la direction départementale de la sécurité publique, car la vidéo diffusée sur internet fait l’apologie du trafic de stupéfiant et met en scène des jeunes qui exhibent des armes à feu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quenelle, armes à feu et drogues
Le clip décrit le quotidien d’un dealer de drogue, de la fabrication dans une cave obscure à la vente, en scooter, au pied des HLM de Neuhof, une cité de Strasbourg. Les images sont très explicites : les barrettes de résine de cannabis y côtoient les bonbonnes d’héroïne. Pendant le refrain, des dizaines de jeunes en scooter, à visage cagoulé, casqué ou découvert, et regroupés au pied de la cité, exhibent des armes à feu. L’un d’entre eux se fend même d’une quenelle.
Ces armes sont-elles réelles ou pas ? Certains des protagonistes sont-ils mineurs ? Telles sont les quelques questions que devra résoudre l’enquête. Les paroles ne font quant à elle pas de mystère : « Même l’Etat français a remarqué qu’au Neuhof ça bosse ».
Surenchère dans la provocation, comme les rappeurs de Sarcelles
Un clip de la même trempe, réalisé par de jeunes rappeurs de Sarcelles, avait suscité une polémique similaire en mars dernier. Le principe était identique : reprendre l’esthétique des clips de gangsta rap français, et pousser la provocation le plus loin possible. L’ambiguïté entre premier et second degrés demeure.
Plusieurs clips de rap ont déjà fait l’objet d’enquêtes ou de diffusions restreintes, comme nous le relatait l’animateur spécialiste de rap Olivier Cachin : “Ce fut le cas de J’appuie sur la gâchette de NTM en 1993, qui a été interdit de diffusion avant minuit, ou d’Hardcore d’Ideal J en 1998, dont le clip était construit à partir d’extraits très violents du journal télévisé, et qui a été sujet à censure”. Cependant leurs réalisateurs n’ont jamais eu à faire à des condamnations.
L’ironie de la conclusion
En 2011 le groupe de rap Cirdo a été poursuivi en justice pour incitation à la violence et outrage à policier dans le clip de Y’a qu’les putes qui écartent. L’auteur du texte et le metteur en scène du clip avaient été déclarés tous les deux coupables de“fabrication d’un message violent, pornographique ou contraire à la dignité de la personne”.
Interrogé par Les Inrocks en mars dernier à propos du clip des rappeurs de Sarcelles, le sociologue Karim Hammou, chargé de recherches au CNRS, auteur d’Une histoire du rap en France (éd. La Découverte), critiquait la médiatisation de ces vidéos anecdotiques :
« L’existence d’une vidéo comme celle-ci est étroitement dépendante du système médiatique contemporain, depuis les plateforme de partage de vidéos dont on pense, à tort, que le nombre de vues équivaut à une mesure d’influence, jusqu’aux chaînes d’information continue et à la presse nationale en manque de sensationnalisme. »
L’ironie, dans le clip d’Abdelos, réside dans sa dernière image. Le dealer écrit en effet les premiers mots d’une phrase – que tous les spectateurs termineront sans mal – sur un paquet de drogue emballé dans du sparadrap : « Nique la pol… ». Après avoir franchi allègrement toutes les règles, le clip ne va pas jusqu’à l’outrage à la police. Mais le buzz recherché est déjà acquis.
{"type":"Banniere-Basse"}