Delphine Batho avait promis de donner sa vérité sur son limogeage. Ce jeudi à l’Assemblée, elle n’a ni buté sur le terme, ni mâché ses mots.
« Elle en a plus dit en une heure qu’en un an de off », commente un journaliste. A l’Assemblée, Delphine Batho y est allée cash devant une salle bondée de journalistes, elle qui insiste sur sa « liberté de parole retrouvée« . Dans ce premier bureau, où s’agglutinent plus de 70 journalistes, les huissiers essayent tant bien que mal d’organiser des ordres de passages entre les photographes à l’arrivée de l’ex-ministre de l’Ecologie. « Laissez sortir vos collègues maintenant, allez, c’est pas cool« , lancent-ils tandis que les autres reporters et la ministre poireautent. Littéralement mitraillée, sous les flashs, on se croirait au Festival de Cannes si le décor, solennel et sobre, ne venait pas contre-carrer l’image.
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Après ces premières minutes mouvementées – « c’est bon on peut commencer ? » lance Delphine Batho qui veut lire une déclaration – on passe du Festival de Cannes à une pièce de Feydeau. Avec un claquement de portes incessant qui cache les propos de Delphine Batho. Les journalistes, en surnombre et bloqués dans le couloir par les huissiers de l’Assemblée, tentant désespérément de rentrer. Bim. Vlan. « Mais laissez-nous entrer ! »
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Pendant ce temps, imperturbable, Delphine Batho revient sur son parcours de militante « à 13 ans contre l’extrême droite« , au PS en charge de la sécurité, auprès de Ségolène Royal puis de François Hollande, à l’Assemblée puis au gouvernement. Et de marteler, vexée qu’on puisse penser le contraire : « pendant toutes ces années, je n’ai jamais été prise en défaut contre mon camp ». Là encore, estime-t-elle, elle n’a rien à se reprocher. « Je n’ai commis ni erreur ni faute, ni manqué à la solidarité gouvernementale » alors qu’elle avait critiqué mardi matin la baisse de son budget ministériel de 7%. Elle s’attendait à ce que ces déclarations sur RTL puissent lui attirer « des remontrances publiques« . Elle s’imaginait « provoquer une discussion« . Mais elle en s’attendait pas à subir une telle réaction qui lui a paru « disproportionnée« .
Dès lors, elle a attribuée son « limogeage » aux lobbys, liés notamment au gaz de schiste et au nucléaire, qui « voulaient (sa) tête » alors qu’elle avait en charge le dossier de la transition énergétique.
« Ces forces ne se sont pas cachées de vouloir ma tête, mais si le gouvernement avait été solidaire, elles n’y seraient pas parvenues. »
L’ex-ministre s’en est pris directement à Philippe Crouzet – patron de l’entreprise Vallourec – dont la femme, Sylvie Hubac, est directrice du cabinet de François Hollande à l’Elysée. « Est-il normal que le patron de l’entreprise Vallourec, directement intéressé par l’exploitation des gaz de schiste, ait pu annoncer ma marginalisation des semaines à l’avance devant des responsables de son entreprise aux USA ? »
« Lanceuse d’alerte »
Derrière cette histoire, « le sujet n’est pas le destin personnel de Delphine Batho », mais « l’orientation politique du gouvernement ». Pour celle qui va récupérer son siège de députée des Deux-Sèvres, le budget 2014 « marque un tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom et qui prépare la marche au pouvoir de l’extrême droite dans notre pays ». Pour elle, « ce qui fait le lit de l’extrême droite, c’est la politique d’austérité« . Insupportable pour l’ex-vice présidente de SOS Racisme qui revendique le rôle de « lanceuse d’alerte » et qui appelle « à reprendre la main du changement« . Insistant sur le fait que les Français avaient besoin de perspectives d’avenir et que le 6 mai, les électeurs de gauche n’avaient pas seulement voté par rejet du sarkozysme mais par attente d’une autre politique, elle a appelé « la gauche à un sursaut en faveur de l’écologie, de l’espoir et des générations futures« . Et si on n’avait pas compris, Delphine Batho a sorti son bazooka : « Ce que je n’accepte pas, c’est l’abandon le fatalisme le renoncement à l’espoir du 6 mai ». Des critiques, selon elle, partagées par plusieurs de ses ex-collègues au sein du gouvernement.
Tirs sur Jean-Marc Ayrault
Au cours de cette conférence de presse de presque une heure, une personne a concentré l’attention de Delphine Batho : Jean-Marc Ayrault qu’elle n’a pas ménagé. Sur le fond et sur la forme. A ses yeux, la méthode au sein du gouvernement a changé.
« Mon éviction est aussi un message à mes ex-collègues pour leur dire que c’est fini, la collégialité au sein du gouvernement », a-t-elle martelé en ajoutant, « il n’y a pas eu de débat collégial au sein du gouvernement sur les arbitrages budgétaires comme il n’y en a plus sur tant d’autres sujets. »
Delphine Batho a aussi assuré avoir « demandé l’arbitrage personnel de Jean-Marc Ayrault » sur le budget de son ministère, ce qu’a contesté ensuite le ministre du Budget Bernard Cazeneuve. Sur la forme, l’ex-ministre n’a pas digéré que Jérôme Cahuzac ait eu le droit à tant d’égards et de signes d’amitiés de la part du Premier ministre à son départ. Et qu’elle n’ait le droit qu’à un communiqué qu’elle a manifestement jugé un peu sec. François Hollande a lui été plutôt épargné.
Delphine Batho a annoncé qu’elle reviendrait à l’Assemblée et continuerait son combat dans la majorité. A la question de savoir si elle pouvait rejoindre le groupe Europe écologie les verts, elle a paru hésitante. Et laissé la porte ouverte. « Ils sont partenaires de la majorité. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. » Une stratégie du suspense qui n’est pas sans rappeler celle de Ségolène Royal. Les attitudes, les mimiques, les intonations de Delphine Batho, aussi.
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