Entre spectacle, résultats probants et soft power, la Coupe du Monde des Russes est pour l’instant une réussite. Reste que l’équipe de Poutine a du mal à se sortir des soupçons de triche et de dopage qui entourent la sulfureuse histoire sportive du pays. Entretien avec le journaliste Jean-Christophe Collin, auteur du « Livre noir du sport russe ».
De ce côté de l’Europe, personne ne s’attendait à voir les Russes en quart de final. Comment cette performance est-elle perçue dans le pays ?
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Jean-Christophe Collin – C’est une divine surprise, les gens ne s’y attendaient absolument pas. Après la victoire contre l’Espagne, il y a eu des rassemblements populaires, parce que tout le monde pensait au début du tournoi que c’était la pire équipe de l’histoire de la Russie. Les Russes ne s’y connaissent pas tellement en foot, d’autant que les vrais fans, ceux qui ont l’habitude d’aller supporter leurs clubs, ne sont pas ceux qui vont voir les matchs de la Coupe du Monde. Les supporters sont généralement des gens issus des classes populaires, or les places pour la Coupe du Monde sont chères. Du coup, c’est assez paradoxal : les Russes ont basculé et maintenant ils croient vraiment à une victoire finale de leur équipe.
Pour autant, ce n’est pas un pays qui a l’habitude des manifestations. S’il y a une immense fête depuis le début de la compétition, c’est grâce aux étrangers venus pour le mondial. Mais les Russes s’enorgueillissent de l’image que cela renvoie.
Avant le tournoi, beaucoup d’observateurs craignaient des débordements violents ou racistes de la part d’hooligans. Finalement ce n’est pas du tout le cas. Êtes-vous surpris ?
Pas du tout. Il n’y avait aucune chance que ces problèmes arrivent. D’abord, les hooligans sont de ceux qui ne peuvent pas se payer des billets pour les matchs du mondial. Et surtout, le pays est très sécurisé et ils ont tous reçu une visite du FSB, les services secrets. Les autorités entendaient s’assurer que l’événement se déroule de la meilleure des manières.
Qu’est-ce que le mondial représente pour Vladimir Poutine ?
Le président russe avait vraiment la volonté de donner une image de la Russie au-delà de celle des médias. Il a réussi. Les gens qui viennent pour les matchs ont l’impression de découvrir la Russie en y passant un bon moment. Ils font la fête, boivent des bières dans les stades ou les fan-zones qui sont très souvent situés dans des grandes villes. Or ce n’est pas ça la Russie, la réalité quotidienne des Russes. Ça, c’est une organisation, une fête.
Dès le second match de l’équipe russe (victoire 3-1 contre l’Egypte) certains médias occidentaux ont suspecté les joueurs de se doper. Comment ces accusations ont-elles été reçues ?
Elles ont été reçues avec acrimonie, parce qu’elles venaient des Anglais. Après, il y a des vraies raisons de s’interroger. Un joueur de l’équipe nationale a été contrôlé positif en 2015. Surtout, l’ancien ministre des Sports Vitali Moutko qui a été banni à vie après le scandale du dopage institutionnel aux JO de Sotchi, est encore très présent dans l’organisation du tournoi.
Dans votre livre, vous revenez sur la triche institutionnalisée aux JO à Moscou de 1980. Pensez-vous que ce risque plane sur la Coupe du Monde, comme ce fut le cas il y a quatre ans à Sotchi ?
C’est assez étonnant : après la victoire en huitième de finale face à l’Espagne, certains Russes pensaient que le match avait été acheté, tellement ils ont l’habitude de ces pratiques… Je ne crois pas que le tournoi soit truqué, ça serait bien trop risqué si jamais on se rendait compte qu’un arbitre a été acheté ou que les joueurs sont dopés. D’autant que le foot est tellement aléatoire…
Pourtant, dès que des sportifs russes réussissent, le doute existe en Occident…
(Il coupe) Non mais les résultats de l’équipe nationale ne viennent pas de nulle part, non plus ! En poule, ils ont battu l’Arabie saoudite et l’Egypte. Ce sont quand même des équipes très faibles. Ils ont des joueurs que beaucoup d’équipes européennes voudraient recruter comme l’attaquant Aleksandr Golovine. Les clubs russes ont gagné de nombreuses coupes d’Europe. Rien que cette année, le CSKA Moscou a battu l’Olympique lyonnais en Europa League. En 2008, quand la Russie avait accédé aux demi-finales du championnat d’Europe, c’était aussi une très bonne équipe, portée par Archavine.
https://www.youtube.com/watch?v=9GmMO7cRfj4
Est-ce que les révélations sur un dopage institutionnalisé lors des jeux de Sotchi ont eu des conséquences sur l’organisation du sport russe ?
Officiellement, Vitali Moutko qui était à la tête du système a dû se retirer. Mais officieusement, il est toujours en charge de beaucoup de choses, dont l’organisation de la Coupe du Monde. D’ailleurs, il était dans le vestiaire russe après la victoire contre l’Espagne.
Après, il y a eu quelques réformes, ils ont changé certaines personnes. Le problème, c’est que pour faire à nouveau partie du concert des Nations, la Russie doit reconnaître avoir triché. Et pas seulement le sport, mais aussi les autorités et donc Vladimir Poutine. Le Kremlin n’est pas prêt à cela.
Je pense qu’il faut leur laisser un peu de temps. Il y a toute une génération qui a grandi avec le dopage. On en sortira que quand ces derniers prendront leur retraite.
Dans votre livre, vous développez l’idée de la « pax poutinia », c’est à dire le sport dans des zones en tensions, comme le Caucase, pour afficher la paix. En cela, que représente le stade de Sotchi ?
Jouer à Sotchi est d’autant plus important pour Vladimir Poutine, que le président russe est arrivé au pouvoir grâce au Caucase. Il s’est fait connaître du public en y menant la guerre contre les Tchétchènes en 1999. C’est son acte fondateur. Il a d’ailleurs obtenu de la Fifa que l’équipe égyptienne s’entraîne à Grozny, la capitale de la Tchétchénie. Pour Poutine, jouer au foot dans le Caucase, c’est afficher que la région est pacifiée. D’autant que, comme lors des JO de 2014, le terrorisme caucasien est, pour moi, le seul véritable risque de cette Coupe du Monde. Pas le racisme, ni le hooliganisme.
Vous parliez de l’Egypte. Quand on voit le mélodrame qui a accompagné les rencontres entre l’attaquant vedette Mohamed Salah et le sulfureux président tchétchène Ramzam Kadyrov, est-ce que ce n’était pas une erreur ?
Pour Mohamed Salah, le problème c’est qu’il s’est fait piéger. Pour son image, c’est catastrophique d’apparaître et de serrer la main d’un tel personnage [Kadyrov est un président autoritaire qui mène notamment une répression systématique contre les homosexuels, ndlr.]. Ses agents et la fédération auraient pu faire davantage attention. Mais du côté de Kadyrov, qui veut qu’on parle de lui, c’est plutôt une victoire. Que l’Egypte soit venue s’entraîner en Tchétchénie, le but est de montrer que c’est un pays comme les autres.
Dans votre livre vous écrivez au sujet de l’URSS : « dans ce pays, le sport n’a aucune connotation éthique, il constitue l’un des éléments du combat face à l’Occident ». Est-ce que c’est toujours le cas pour la Russie de Poutine ?
Je pense que ça a changé. Pas que du côté russe d’ailleurs. Pendant la Guerre Froide, les Américains aussi se dopaient. C’était l’époque qui voulait que le sport soit conceptualisé de cette manière. C’est toujours vrai au sommet de l’Etat, mais beaucoup moins pour les sportifs qui sont pris dans la mondialisation. Par exemple, les journalistes et les supporters russes reprochent beaucoup aux footballeurs, très bien payés au pays, de ne pas s’exporter dans de meilleurs championnats en Europe pour s’améliorer.
Propos recueillis par Cyril Camu.
Jean-Christophe Collin, Le livre noir du sport russe, Stock, 2018.
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