Si la K-pop domine les MTV asiatiques, elle subit de plein fouet les susceptibilités nationales. Au point où certains groupes coréens sont bannis du territoire japonais pour avoir pris parti dans les disputes territoriales des pays limitrophes.
“Gangnam Style” a beau avoir envahi YouTube, il est loin d’avoir conquis l’Asie. L’ambassadeur coréen Psy est devenue persona quasi non grata sur les ondes japonaises et chinoises, y compris à Taiwan. Et si on a vu une floppée d’hommes politiques – dont le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon – reprendre la “danse du cheval”, toutes les images ont été censurées en Chine. On ne rigole pas avec l’invasion coréenne.
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La K-pop, une arme économique et politique
La bronca asiatique à l’égard de Psy n’a rien d’artistique : elle est politique. Pensée au début des années 2000 comme un des piliers de l’économie coréenne, l’industrie culturelle reçoit des dizaines de millions d’euros en subventions annuelles. Samsung ou LG pour les nouvelles technologies, Hyundai pour l’automobile, KARA ou Girls’ Generation pour la musique : la Corée du sud tient là des ambassadeurs de poids.
La “Hallyu” (“vague” en coréen) a imposé ses boys et girls band ingénus à la plastique lisse sur toutes les télés du continent et même au-delà. La France n’est pas en reste, se hissant à la première place des importateurs européens de K-pop. La recette d’un tel succès : des chansons d’amour pétries d’influences occidentales (R’n’B, eurodance, hip-hop, house…), chantées en coréen. Et pour mieux percer sur les marchés limitrophes, les chanteurs s’adaptent : le groupe féminin Sistar chante parfois en japonais, Super Junior a décliné une version mandarine du groupe, intitulé Super Junior-M. La K-pop est transnationale, ce qui lui a permis de générer 470 millions d’euros en 2011 (soit 110% de plus qu’en 1997).
Une montée des nationalismes asiatiques
L’État du matin calme a de quoi énerver ses voisins, à commencer par le Japon. La K-pop – dérivée de la J-pop, phénomène musical similaire mais cantonné à la langue nipponne – menace la place du Japon sur le marché mondial de la musique, deuxième industrie derrière les États-Unis. Mais au-delà d’une simple compétition commerciale, c’est l’invasion de la langue coréenne dans chaque radio, télévision, et ordinateur, qui ont eu raison du public asiatique. Depuis 2011, des manifestations rassemblant des milliers de Japonais ont lieu devant le siège des télés musicales pour demander l’arrêt de la diffusion des clips de K-pop.
“La crise économique mondiale s’est traduit en Asie par la montée du nationalisme, surtout au Japon pour créer une diversion face au désastre de Fukushima, analyse Pascal Dayez-Burgeon, directeur adjoint de l’Institut des sciences de la communication du CNRS. Le nationalisme historique, lié à l’invasion de la Corée par les Japonais et au rôle de la Chine, a laissé place au nationalisme géographique. Ils se disputent des îlots rocheux où vivent trois mouettes et demie”. En 2012, les tensions sont montées d’un cran dans la mer du Japon à propos des îles Senkaku, au point où de violentes manifestations anti-japonaises ont éclaté en Chine. Même chose pour les îles Dodko que se disputent le Japon et la Corée du Sud.
Et bizarrement, à défaut d’un conflit ouvert, ces tensions territoriales se sont traduites par l’accueil réservé aux groupes nationaux. Ainsi de Girls’ Generation, un temps boycotté par le Japon pour des commentaires sur les îles Dodko ; et à l’inverse de KARA, à qui les Coréens ont reproché de ne pas prendre parti dans la dispute. Pire, aucun groupe de K-pop n’a été convié au grand raout musical Kohaki Uta Gassen – les NRJ music awards japonais – alors qu’ils dominent les charts locaux. Autant de signaux anti-K-pop relayés sur le web japonais et dans les médias, où l’on clame que la Hallyu est en perte de vitesse.
Les popstars, reflet de la supériorité nationale
“En Asie, les groupes musicaux ont un impact très fort sur la représentation nationale, ils incarnent l’âme du pays, commente Pascal Dayez-Burgeon. Il y a l’idée que plus ces chanteurs sont beaux, plus ils reflètent une beauté morale, et donc la supériorité de la Corée”. Ces ambassadeurs musicaux portent en eux un message politique fort, que le concurrent doit à tout prix minimiser.
Tant pis si ça devient absurde. L’année dernière par exemple, le vice-président japonais a interdit à l’acteur Song Il-suk de se rendre au Japon après avoir participé à un relais de natation jusqu’aux îles Dodko. Même les Chinois deviennent virulents, à l’instar de Jay Chou, le “père de la pop moderne chinoise”, qui a demandé à ses compatriotes de résister à la vague coréenne. L’hostilité est partagée : en Corée, il est interdit de diffuser des programmes japonais sur les chaînes hertziennes.
Gageons que les frictions pop ne vont pas s’évanouir de si tôt, à l’ombre des tensions insulaires et de la montée en puissance de la Corée du nord. D’autant plus que les concurrents indonésiens et philippins sont déjà sur les rangs.
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